samedi 11 mai 2024

"Juillet" face à "Novembre"

Je vous fais part d'une réflexion curieuse que j'ai eue.
Victor Hugo a posé le motif de l'orient comme horizon poétique d'attente, avec un plan politique développé notamment en tête du recueil des Chants du crépuscule, où les incertitudes sur l'avenir tournent en lecture ambivalente où le couchant et l'aurore se confondent visuellement. Il y a une idée générale de l'orient comme lever du jour, et donc l'orient est une métaphore de l'aube. Mais Hugo en profitait aussi pour relier ses recueils entre eux. Parler de l'espoir de l'orient au début des Chants du crépuscule, c'est rappeler que deux recueils auparavant le poète écrivait les poèmes des Orientales. C'est un peu comme le recueil Les Feuilles d'automne fait écho aux images de Chateaubriand et Lamartine sur le poète en tant que feuille d'automne emportée par le vent.
Mais, la mise en perspective politique et poétique de l'orient est présente aussi dans le recueil des Orientales. Les trois derniers poèmes du recueil des Orientales s'intitulent "Bounaberdi", "Lui" et "Novembre". "Bounaberdi" est une déformation du nom "Bonaparte" et c'est l'empereur également qui est désigné par le pronom "Lui". Bonaparte a fait une campagne d'Egypte quand se levait son "astre impérial". A noter que toute la fin du recueil des Orientales est en sizains avec une dominante des alexandrins. En effet, après "Les Bleuets" en huitains d'octosyllabes et "Fantômes" en quintils où l'alexandrin est dominant, nous avons le poème "Mazeppa" en sizains, puis le poème "Le Danube en colère" alternant huitains et sizains d'octosyllabes, et à partir de là nous avons une suite finale de six poèmes en sizains à alexandrins dominants : "Rêverie", "Extase", "Le Poète au calife", "Bounaberdi", "Lui" et "Novembre". Cela unit en particulier les deux poèmes sur l'empereur "Bounaberdi" et "Lui", mais les titres "Rêverie" et "Extase" entrent en résonance avec le poème final "Novembre" également.
Et ce poème "Novembre" a un point commun avec la section "Adieu" du livre Une saison en enfer : nous avons deux recueils poétiques où dans la partie finale du récit il est question de l'avènement de l'automne avec toute la portée symbolique qui peut lui être conférée, et cet automne est à relier, en songeant au titre à venir hugolien Les Feuilles d'automne, à ce motif de la feuille emportée par le vent, motif de "chanson d'automne" pour citer Verlaine, qui est cristallisée par des passages célèbres des Méditations poétiques de Lamartine et du René de Chateaubriand.
A la fin des Orientales, Hugo identifie l'automne à la grisaille parisienne du mois de "novembre". Il s'agit d'une automne (il accorde le mot au féminin dans le poème) très avancée, et cela crée un fort contraste entre les visions enjolivées de poèmes exotiques orientalisants et le présent brumeux et froid de la capitale qu'est Paris. Et Hugo théorise alors l'idée que l'orient est dans la tête du poète comme un repli protecteur face à l'hiver et face à la réalité brute :
O ma muse ! en mon âme alors tu te recueilles,
Comme un enfant transi qui se rapproche du feu.
Cependant, ce que je viens de dire est en réalité assez inexact. Car Hugo dit quelque chose de plus intéressant. Il faut bien cerner la nuance de son propos. Il va de soi qu'en imposant à ses lecteurs la féerie d'imaginations dans un cadre oriental, le poète a sorti une poésie de son invention et non de l'observation du monde autour de lui. Seulement, le poète décrit sa réalité du mois de novembre, et il nous explique que son pouvoir créateur est tout de même conditionné par la réalité extérieure. C'est plus facile pour le poète de nous faire nous évader dans les pays chauds pendant l'été qu'au cours des saisons de froid et brume sur la ville de Paris. Le climat favorable à Paris est un relais nécessaire à son imagination, car avec l'automne et l'hiver l'imprégnation va forcer le poète à privilégier d'autres sujets. C'est un peu comme si le poète était un amplificateur de la réalité. S'il fait chaud, il peut rêver l'orient, s'il fait froid il médite la paralysie de la situation ambiante.
Je cite les deuxième et troisième sizains du poème intitulé "Novembre" :
Devant le sombre hiver de Paris qui bourdonne,
Ton soleil d'orient s'éclipse, et t'abandonne,
Ton beau rêve d'Asie avorte, et tu ne vois
Sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée,
Brouillard à ta fenêtre, et longs flots de fumée
Qui baignent en fuyant l'angle noirci des toits.

Alors s'en vont en foule et sultans et sultanes,
Pyramides, palmiers, galères capitanes,
Et le tigre vorace et le chameau frugal,
Djinns au vol furieux, danses des bayadères,
L'Arabe qui se penche au cou des dromadaires,
Et la fauve girafe au galop inégal !
Il faut que les visions cèdent la place à la dominante : "C'est Paris, c'est l'hiver."
La muse demande alors au poète de la désennuyer, et il se met à lui conter ses plus doux souvenirs d'enfance.
Mais ce qui m'intéresse par rapport à Rimbaud, c'est cette idée que le climat de l'été était nécessaire aux visions orientalisantes du poète. C'était un tremplin nécessaire à l'imagination.
En 1872, Rimbaud a écrit un poème intitulé "Juillet". Un siècle durant, le poème à l'incipit "Plates-bandes d'amarantes..." était mal édité, car coiffé du titre "Bruxelles", mention en réalité faisant partie d'une épigraphe au lieu de "Juillet", le titre devenant lui-même une épigraphe.
En avril 1872, Victor Hugo venait de faire paraître son recueil politique L'Année terrible qui traitait de la succession des événements marquants que furent la guerre franco-prussienne et la Commune. Le recueil avait une subdivision par mois, d'août 1870 à juillet 1871. Le titre du poème de Rimbaud entre du coup en écho avec la dernière partie du recueil hugolien, même s'il faut opposer "juillet 1871" et "juillet 1872", mais en prime Rimbaud renchérit sur un aspect latent du dispositif hugolien, puisque "juillet" est la sortie de l'année terrible et fait entendre l'idée d'une révolution positive possible réservée à l'avenir, ou en tout cas interroge ce devenir. Le mois "juillet" fixe la référence à la révolution française, c'est un mois plusieurs fois lié aux révolutions : "Bastille", fête de la fédération et Trois Glorieuses.
Il y a d'autres idées à creuser au sujet du titre du poème de Rimbaud qu'est "Juillet", mais on remarque que le titre "Juillet" fait un écho, peut-être involontaire, avec le titre "Novembre", dans la mesure où "Novembre" clôt le recueil des Orientales dans un contexte de grisaille parisienne, quand "Juillet" débute par une vision orientale absurde en pleine ville de Bruxelles : "Bleu de Sahara". Nous avons également le "Sahara de prairies" dans le poème verlainien sur "Malines". Il s'agit de tourner en dérision le voyage touristique en Belgique sur le modèle du récit qu'avait fait Gautier de son périple avec Gérard de Nerval à travers Belgique et Pays-Bas. La révolution belge est elle-même liée au mois de juillet, avec une fête nationale à une semaine d'intervalle du cas français : 21 juillet contre 14 juillet. Et dans "Juillet", Rimbaud décrit le Palais Royal belge, son parc voisin, et il s'agit d'un lieu impliqué dans la révolution belge. Et du coup, on retrouve aussi cette idée d'un poète qui n'imagine pas sans s'imprégner des lieux et d'une situation. Dans "Novembre" de Victor Hugo, le climat ne permet plus de rêver le transport exotique dans des pays du soleil, mais le beau ciel bleu en juillet 1872 sur Bruxelles permet à Rimbaud de se déporter en vision, sauf qu'évidemment il y a aussi une perspective sarcastique, ironique, dans le discours de Rimbaud autour du centre politique de la Belgique.
Alors, oui, le rapprochement est ténu, puisque face aux quatrains de Rimbaud nous avons des sizains, et puisque les rapprochements ne concernent vraiment pas les expressions des deux poèmes, sauf à chercher exagérément à voir dans "Bavardage des enfants et des cages" une allusion à la cage de Napoléon Ier dans le poème "Lui". Je ne pense pas qu'on puisse affirmer un lien voulu et pensé entre les deux poèmes, mais l'idée que la symbolique d'un climat favorisant ou non les visions voyageuses du poète avec un arrière-plan de méditation politique sur le présent immédiat qui s'offre à la vue du poète est un point commun d'époque significatif entre les deux morceaux, ça me semble tout à fait pertinent.
Evidemment, la mention "Juillet" de Rimbaud se nourrira plus volontiers de références à une actualité politique et littéraire proche de l'année 1872.

vendredi 10 mai 2024

Absence pour le reste de mai, mais mes projets

Bafouille volontaire dans le titre, je m'amuse.
En gros, j'ai du boulot à abattre et en même temps, je vais être absent deux semaines, ce qui sera l'équivalent de trois pour le blog.
A la limite, je pourrais utiliser la lecture sur le net pour proposer quand même un article.
Donc, j'ai plein de trucs en cours évidemment.
Je relis massivement la poésie du dix-neuvième siècle, là je suis sur Hugo et Lamartine, deux énormes massifs, et cela implique aussi les vers de théâtre.
Bref, je parle un peu de mes projets.

Etant donné le bac de français autour de Rimbaud, j'ai envie de faire, ce que d'ailleurs j'avais annoncé, un article de synthèse sur les poèmes de 1870, sur les éditions parascolaires, sur l'imposture du prétendu recueil de Rimbaud, Cahiers de Douai ou Cahier de Douai avec le bas, mais Recueil Demeny aussi avec Brunel et Murphy responsables de cette idée de recueil. Le "Recueil Demeny", ça nous vient du livre Projet et réalisations de Brunel de 1983, et d'ailleurs il y a une question d'un ouvrage parascolaire qui reprend directement un passage du livre de 1983 de Brunel, et je vais citer tout ça. Et il y a un article de Steve Murphy paru dans la revue Studi francesi où on a une étude des manuscrits qui se trouvent à Londres et qui venaient de l'écrivain autrichien Zweig, un article qui s'il dément la légende de cahiers soutient anormalement la thèse du recueil. Même le biographe Jean-Jacques Lefrère avait des doutes qu'il exprimait dans sa biographie parue chez Fayard, quand il dit que c'est bizarre tout de même que Rimbaud signe au bas de chaque poème, puisque c'est censé être un recueil.
Pierre Brunel est quelqu'un de très haut placé dans les universités françaises, avec du pouvoir.
C'est à cause de Brunel et de Murphy que tout le monde baisse la tête et fait mine de dire qu'il y a un recueil remis à Demeny. C'est de la servilité basse. Brunel et Murphy se sont trompés, il faut avoir le courage de le dire. Murphy a fait des trucs très bien, il a fait des trucs parfois très mauvais. Point barre.
De plus, une synthèse sur les poèmes de 1870 de ma part permet aussi de rappeler tout ce que j'ai apporté de factuel dont les rimbaldiens ne tiennent aucun compte.
J'ai identifié des sources pour "Ophélie" et "Les Effarés" parmi des poètes de second ordre. J'ai souligné que les tercets de "Rêvé pour l'hiver" et "Ma Bohême" démarquaient deux poèmes à base de sizains de Banville et deux poèmes qui ponctuaient chacun un recueil emblématique de Banville : "A une Muse folle" pour Les Cariatides et "Le Saut du tremplin" pour les Odes funambulesques. Et puis il y a ce dossier majeur et nourri sur la référence à Musset, à ses Nina, Ninon, Ninette et à sa "Chanson de Fortunio" pour "Les Reparties de Nina" et "Mes petites amoureuses" (poème de 1871), en impliquant une préface de Glatigny.
C'est pas mince comme dossier.
Je reprendrai l'étude suivie d'Une saison en enfer également, l'étude de Marceline Desbordes-Valmore aussi.
J'ai envie de mettre au point une grande revue générale sur la poésie du dix-neuvième siècle. J'ai un énorme dossier à fournir sur l'évolution des enjambements, et sur l'histoire du trimètre. Cela dépasse le seul cadre des études rimbaldiennes. Normalement, le vers concerne une grande partie de l'histoire de la poésie française, comme une grande partie de l'histoire de la poésie dans le monde. On a eu des ouvrages de centaines de pages de George Lote, de Philippe Martinon et d'une quantité vertigineuse d'autres personnes, on a eu le renouveau des études métriques avec Jacques Roubaud puis Benoît de Cornulier, et on a eu une avalanche de publications ensuite de Cornulier lui-même, puis de gens s'inscrivant dans la suite de ces études renouvelées : Gouvard, Bobillot, Dominicy, Rocher, des études de poèmes dans ces cadres avec Murphy, des dialogues avec Verluyten, et il va bien falloir que ce que j'apporte ça passe enfin. Ou on parle de rien, ou on parle de tout. Il y a un moment il va falloir déverrouiller tout ça.
J'ai en même temps que l'étude des vers un relevé de rimes en cours et un relevé de strophes.
Et puis, comme toujours, il y a tant de poèmes dont l'étude est à reprendre, en vers comme en prose.
Je n'ai toujours pas publié un article sur ce que la lettre à Andrieu et la remarque graphologique de Bienvenu sur les "f" de cette lettre a changé. Bienvenu a précisé que les poèmes avaient dû être recopiés au début de l'année 1875. Il ya une réflexion à reprendre à partir de cette donnée.
Je dois aussi toujours mettre en ligne deux photographies de l'exemplaire du Reliquaire annoté par Vanier (pouquoi Vanier ? Voir mon article "Que sont devenus les manuscrits de 'Paris se repeuple' ?") parce qu'il y a le copie Vne à côté de la version en deux triolets du Coeur volé, et il y a surtout la transcription manuscrite des strophes inédites de "L'Orgie parisienne". Vous savez que vous lisez "Paris se repeuple" dans deux versions distinctes, mais j'ai eu beau l'expliquer par un article tant que je ne vous aurai pas mis les photographies du Reliquaire annoté par Vanier vous n'aurez aucun déclic sur ce qui se joue pour l'établissement du texte et la réflexion sur le cheminement des manuscrits : ça se voit un peu trop que vous êtes bouchés à l'émeri.
Enfin, bref, il y a tant à faire.
Pour les rimes, je pense à "ange"/"étrange" bien sûr, mais je fais des enquêtes sur "vie"/"asservie". J'ai des choix de rimes, et dans mes recensions j'observe les tendances qui se dessinent.
Pourquoi aucune étude universitaire ne fait jamais des études systématiques de la sorte, je l'ignore. Les anglo-saxons pourraient le faire, ils sont plus motivés. Les français, ils sont franchouillards. Ils étouffent les génies, j'en suis la preuve vivante. Ils sont métro boulot dodo. Pour eux, admirer l'art ou même être un artiste, c'est un passe-temps qui vous pose un homme, c'est une activité de reconnaissance bourgeoise. Il n'y a aucune ambition, aucune envie de se dépasser, néant. Si, il y a les génies comme moi, mais avec un encadrement de pantouflards vous ne pouvez pas avoir un nouvel âge d'or de la culture française. C'est particulièrement mal barré.
Tant pis !
Moi, à force de lire des vers, je sais que je pourrais faire pendant un certain temps des pastiches des grands poètes, je pourrais faire tourner ça quelque temps, puis prendre mon envol, mais je vis dans un monde qui ne m'en donne pas l'énergie. Je vais pas écrire des vers pour intéresser un Circeto qui vient balader sa suffisance mondaine, ça n'a aucun intérêt, pour faire parler des critiques rimbaldiens qui font semblant de se passionner pour l'étude des poèmes de Rimbaud, alors qu'en fait ils ne font que se mêler à des querelles de chapelles pour se créer une vie sociale et une reconnaissance de leurs mérites sur' le dos de Rimbaud.
Tu ne peux pas être motivé quand tu vois la farce qu'est devenue l'éducation dans les classes. Tu aimes la versification, l'éducation nationale et les universitaires te crachent à la figure. Ils savent ce qui est intéressant, la versification n'en fait pas partie n'en déplaise aux poètes. Mais la rhétorique ne les intéresse pas non plus, les réécritures ne les intéresse pas, sauf pour parler vaguement de théories intertextuelles farfelues.
Dans les classes, on enseigne la réflexion sur les livres, pas l'écriture. Et quand on enseigne l'écriture, c'est pour faire du rap ou pour dire "mets trois adjectifs dans ton poème".
Alors, certes, il y a un intérêt aux subtilités de la pièce Juste le monde de Jean-Luc Lagarce, remette en avant Colette c'est bien vu, c'est un écrivain solide. Mais il manque une dynamique pour créer des plumes, des poètes... Là, vous n'y arriverez pas, partis comme vous êtes. Il y a un tel abrutissement général que vous aurez difficilement des génies. Pas la peine de vous dire qu'Homère était un des rares de son temps qui savaient écrire, et qu'aujourd'hui la base est plus large. Vous ne comprenez visiblement pas comment un ou plusieurs écrivains de talent jaillissent d'une dynamique de société dans son ensemble.
Vous êtes foncièrement métro boulot dodo, vous sanctionnez l'envol et l'ambition. Vous n'aurez rien ! ça crève les yeux.

lundi 6 mai 2024

"Un seul être me manque et tout est dépeuplé !" et les Poésies pastorales de Léonard...

Sur la toile, plusieurs "articles" parlent du plagiat de Lamartine : "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé." C'est un fait connu de quelques-uns, mais je ne sais pas à quand remonte la révélation. En tout cas, en 2012, un article revient sur ce qui se dit et fait une mise au point.
En effet, beaucoup disent simplement que le vers du poème "L'Isolement" de Lamartine : "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé", est un plagiat à un mot près d'un vers du poète né à la Guadeloupe Léonard : "Un seul être me manque et tout est dépeuplé."
Le problème, c'est qu'on n'a pas accès au poème qui contient ce vers. Et donc voici la mise au point en question.


Nous sommes sur un site Biblioweb / Hypothèses avec une sorte de note d'un certain Jean Stouff. L'article s'intitule "Plagiaires et plagiés (2) Alphonse de Lamartine", et il relève d'une composition assez habituelle à ce genre de sujet. L'admiration patrimoniale de la grand-mère qui l'avait transmise à l'auteur de cette note, La révélation qu'on admire le plagiat, pas l'original pour "O temps suspends ton vol", puis la révélation d'un second plagiat pour "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé", avec cette fois tout de même une modification pronominal qui change pas mal la donne : l'original c'est "Un seul être me manque et tout est dépeuplé", ce qui a nettement moins d'intérêt.
Et puis ça se finit sur une sorte de conclusion polémique : la poésie romantique a fait son lit sur la poésie du dix-huitième siècle avec le sous-entendu que normalement on oppose la poésie romantique comme une rupture avec la poésie du dix-huitième siècle.
Je suis évidemment d'accord depuis toujours avec cette conclusion. Quand je dis "depuis toujours", c'est que tout simplement, lycéen, j'ai appris l'histoire de la poésie française dans les volumes de la collection Lagarde et Michard. J'avais immédiatement repéré les ressemblances de la célébration de l'automne entre les poèmes de Lamartine et ceux d'obscurs poètes du dix-huitième siècle, et j'ai pas mal lu les poésies de Voltaire, ce qui fait que la posture politique et philosophique des vers de Victor Hugo je sais d'office qu'elle relève de la tradition, pas de la nouveauté du romantisme.
J'ignorais, jusqu'à récemment (je crois qu'on m'en avait déjà parlé, mais que je n'avais pas fait attention), que Lamartine avait aussi plagié "O temps suspends ton vol" et jusqu'à hier soir "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé !"
Mais je rattrape vite le temps perdu.
En fait, à peine je lis le poème "Ode sur le temps" en entier, aussi sec j'identifie une autre réécriture dans un autre poème des plus célèbres de Lamartine, comme on le voit sur l'article précédent, et je cerne pas mal d'enjeux thématiques entre "Ode sur le temps" (ou Ode au temps) et les Méditations poétiques. C'est pour ça que même si j'en partage les conclusions je ne me satisfais pas du tout de la note de Jean Stouff et que je déplore le manque de suite donné à la révélation de ce plagiat.
On n'est pas dans une situation qui doit se limiter à un article où on va dire : "regardez ce qu'on admire chez lui, il l'a pris là, oh c'est beau le tour de passe-passe !" Il y a plus à creuser.
La mise au point de Jean Stouff aurait dû aussi provoquer plus de réactions.
En fait, la partie la plus intéressante de la note de Jean Stouff est refoulée dans la note 2 de bas de page. Pourquoi ça passe en note de bas de page ?
Donc, sur son blog "Les enlumineurs" (décidément !), un certain Pascal Viyer a publié le lundi 10 janvier 2011, un article "Le plagiaire et la coquille" où il a écrit ceci :

[...] Antoine Léonard Thomas (1732-1785), poète clermontois à qui Lamartine (1790-1869) doit les deux vers qui lui ont conféré tant de renommée : "O temps, suspends ton vol", et "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé." Rien que cela.

Cette remarque est noyée dans un ensemble de considérations mêlant plein d'auteurs, je n'ai même pas pris la peine de le lire en entier, je vous avoue, et on voit bien que Pacal Viyer lui-même n'a pas fait cette découverte, il s'agit d'une découverte plus ancienne, j'en ai repéré une datée de 2007 dans la presse. Pascal Viyer cite d'ailleurs de mémoire et commet quelques bourdes. D'évidence, l'article de Jean Stouff est une réaction à la lecture de cet article de blog, puisque nous avons une proximité de format (le billet internet) et un proximité de dates (10 janvier 2011 contre un article daté du premier novembre 2012). Stouff reprend les deux plagiats. Le premier n'est pas un vers, mais un hémistiche. Mais, peu importe, il y a bien un plagiat du poète clermontois. Toutefois, une étude plus attentive du poème "Ode sur le temps" de 1762 permet de constater au moins un autre emprunt pour le poème "L'Isolement", et puis on a aussi l'idée que le poème "Ode au temps" est une sorte de centrale d'idées pour la poésie métaphysique lamartinienne.
En revanche, Viyer s'est trompé, le vers : "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé" n'est pas un plagiat du même Thomas. On peut penser que la mention commune "Léonard" est à l'origine de cette confusion : d'un côté le poète clermontois Antoine Léonard Thomas (1732-1785) et de l'autre le poète Nicolas Germain Léonard (1744-1793). C'est à ce dernier que revient l'invention du vers : "Un seul être me manque et tout est dépeuplé." Et c'est un contemporain du poète clermontois.
Dans la foulée, Stouff cite également un extrait du livre Les Rillettes de Proust où l'auteur Thierry Maugenest explique que le vers viendrait d'un recueil intitulé simplement Poésies et daté de 1770, livre qui a fait l'objet d'un compte rendu dans le journal L'Express en 2010.
Stouff a effectué des recherches. Il n'a pas découvert un recueil de 1770 simplement intitulé PoésiesEn réalité, à s'en fier aux recherches de Stouff, la seule attestation du vers par Léonard vient d'une épigraphe en tête d'un ouvrage en prose. Nicolas-Germain Léonard a écrit un roman épistolaire La Nouvelle Clémentine ou Lettres de Henriette de Berville paru en 1774. Il s'agit évidemment d'un ouvrage qui prend pour modèle La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau.
Stouff fournit le lien d'une édition en ligne de cet ouvrage, malheureusement dans une présentation qui laisse à désirer.


En clair, l'auteur s'est cité lui-même, il a mis en épigraphe à son roman une citation qui est de lui-même puisqu'il la signe :

"Un seul être me manque, et tout est dépeuplé."
Nicolas Germain Léonard.

De toute évidence, Lamartine a lu ce roman et la mise en exergue du vers attirait forcément l'attention. Le vers n'a pas été repéré parmi d'autres par Lamartine, il l'a lu en tête de ce roman précisément.
C'est parce que ce vers était isolé en tête de ce roman que Lamartine a pu autant le méditer et l'améliorer par une retouche aussi spectaculaire.
Ceci dit, Lamartine a dû lire plusieurs ouvrages de la seconde moitié du dix-huitième siècle et si ce vers l'a intéressé, il a dû chercher à mieux connaître son auteur, il a dû chercher le poème en question.
Et c'est là qu'avec mon sens du coup de génie, je remarque une singularité qui a échappé à tout le monde.
Mais j'y reviens dans un instant, je continue avec l'enquête menée par Stouff.
Stouff a identifié un recueil qui s'intitule Poésies pastorales écrit par notre Nicolas-Germain Léonard (oui, j'ajoute un trait d'union) qui date de 1771. Et c'est là que la fin de note 2 de bas de page est assez déconcertante :
Une recherche dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France permet de constater qu'il existe bien un recueil de Nicolas Germain Léonard intitulé Poésies pastorales paru en 1771 (et non 1770) chez Lejay à Genève et disponible sur Gallica. Serait-ce le livre recherché ? Reste à trouver le poème.
On peut se dire que Maugenest a cité un recueil intitulé seulement Poésies, et non pas Poésies pastorales. Mais, on sent que l'explication a un inconvénient. Il faudrait imaginer que dans le contexte du dix-huitième siècle, contexte d'Ancien Régime, Léonard a publié en 1770 un recueil intitulé Poésies et l'année suivante un recueil Poésies pastorales, et ce premier recueil ne serait pas recensé par la Bibliothèque nationale de France, mais par Maugenest si !
Certes, les deux éditions de L'Olive de Joachim du Bellay le furent d'une année à l'autre, mais il s'agit d'une édition augmentée du même recueil, par un poète officiel.
Il reste la possibilité que Maugenest se soit trompé, et plutôt deux fois qu'une. Il peut raccourcir en Poésies le titre Poésies pastorales. Et il peut aussi ne pas avoir lu le recueil en question et simplement se dire que par inférence logique le vers de Léonard plagié par Lamartine se trouve dans ce recueil-là forcément.
Stouff parle de trouver le poème qui contiendrait ce vers comme s'il n'avait pas lu le recueil Poésies pastorales. Pourtant, tout le monde comprend aisément que Stouff est assez consciencieux et que le repérage du vers n'a pas pu lui échapper. Stouff n'a pas trouvé le vers dans ce recueil dont un fac-similé est mis en ligne parce qu'il ne s'y trouve pas. Alors, il reste l'espoir d'une édition différente, d'une édition augmentée ou avec des variantes...
Stouff peut penser aussi que le vers serait finalement dans un recueil distinct de l'auteur.
Mais, moi, j'ai une autre idée. Mais avant de vous en parler, je vous fais un état du recueil Poésies pastorales, parce que même si j'ai tout de suite compris que je n'y trouverais pas le vers en question, j'ai téléchargé le recueil sur Gallica et je l'ai lu (du moins survolé).
Il y a une préface de quelques pages avec un début qui est une définition de l'idylle. D'ailleurs, ça fait longtemps que j'ai en vue de pondre un rapprochement du poème "Michel et Christine" avec la poésie du dix-huitième siècle, et dans ce recueil Poésies pastorales vous les orages et les troupeaux, et tout...
Le recueil contient deux livres d'idylles qui forment les Poésies pastorales proprement dites, puis deux poèmes "A ma Muse" et "La Voix de la Nature", et on a ensuite un ensemble dit de "Pièces détachées" avec un mélange très hétérogène de vers et de proses : une épître en vers et un discours en vers sur l'humanité, puis un conte en prose intitulé "Rosette", et enfin un texte en prose "Les Orages" qualifié de "Poème". Je suppose qu'il est régulièrement cité dans les ouvrages sur la genèse de la poésie en prose au dix-huitième siècle.
Et puis, nous avons encore un ensemble en prose "Lettres de Sainville et de Sophie" qui est un galop d'essai pour la "Nouvelle Clémentine". Le modèle est bien évidemment le roman épistolaire de Rousseau Julie ou la Nouvelle Héloïse. Sophie rime avec Julie et contient étymologiquement l'idée de sagesse comme on le voit avec le mot "philosophie" lui-même.
Il est aussi question de Nina dans les vers de ce recueil.
J'ai remarqué des vers intéressants, du genre : "Un jour pur vient après une nuit tranquille", d'autres. Ma citation est approximative, mais je remarquais en gros des vers qui ont ce côté : "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé". J'en ai deux ou trois à citer, mais je ne les ai pas mémorisés.
Je sais que le dernier poème du premier livre des idylles est très pré-lamartinien et m'a paru l'un des plus susceptibles à contenir le vers "Un seul être me manque et tout est dépeuplé." J'ai repéré quelques autres poèmes en ce sens dans le second livre d'idylles, mais c'était moins net, mais j'ai relevé aussi un truc intéressant, un poème où le "ciel est vengé" (je cite une fin de vers) et ça me faisait passer à la dynamique de jugement par Dieu que suppose le poème "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." J'y reviendrai.
Evidemment, une idée subtile, c'est que les poèmes du recueil Poésies pastorales ont forcément des vers qui ressemblent à la frappe : "Un seul être me manque et tout est dépeuplé." J'en ai eu la forte impression, notamment à la lecture du dernier poème du premier livre d'idylles. On peut imaginer que le vers : "Un seul être me manque et tout est dépeuplé" faisait partie à l'origine de l'une de ces compositions, parfois fleuves,  et que le poète l'ait retranché. On vient donc flairer le contexte de création d'un tel vers.
Mais une autre idée lumineuse m'occupe l'esprit. Je dois vérifier si je ne me fais pas contredire par les faits, mais donc le vers en épigraphe au roman épistolaire La Nouvelle Clémentine fait penser à l'octosyllabe orphelin en épigraphe attribué à Rimbaud pour un poème des Romances sans paroles : "Il pleut doucement sur la ville." On cherche désespérément à retrouver le poème de Rimbaud d'où provenait cet octosyllabe, tout en se disant que ça pourrait bien n'être qu'un leurre. Or, ici, ça m'a tout l'air d'être le cas. La feinte de Léonard, c'est d'avoir créé ce qu'on appelle un vers blanc, il s'agit d'un alexandrin orphelin, il lui manque précisément un être qui serait son âme soeur pour l'élever définitivement au statut de vers. Et je pense que Lamartine, qu'il ait cherché ou non à trouver ailleurs le vers en question dans les poésies de Léonard, a très bien compris l'intention malicieuse et au lieu de parler d'alexandrin orphelin il s'est dit qu'il avait affaire à un alexandrin... isolé.
Vous comprenez l'astuce du titre "L'Isolement", une fois qu'on a identifié la source du plagiat ?

- Non, pas ça ! On voulait garder la découverte pour le sérail ? Non, il fallait que ce soit une découverte de Guillaume Meurice, de Circeto, de Steve Murphy, de Benoît de Cornulier, d'Adrien Cavallaro, mais non pas lui, nooon ! Noooon !

- Ahahahahah !


***

Au fait, on en parle du climat ambiant ? Alors, je ne parle pas de Gaza, il va de soi que la solution, jamais parfaite mais de composition, aurait été d'avoir deux états. Il y a évidemment plein de choses à dire, mais le problème immédiat c'est la guerre menée par les Etats-Unis contre la Russie et la Chine, en se servant de nous.
Il y a réellement un problème de nazisme, ça vous vous en foutez. Je ne sais pas comment vous faites. Je ne sais pas comment vous niez l'hétérogénéité ethnique de l'Ukraine, ni le coup d'état du Maidan de 2014. Je ne sais pas comment vous pouvez commémorer la Commune de 1871 et nier les civils du Donbass. Je ne sais pas comment vous faites pour classer Nordstream en tant que non-événement.
J'ai des tonnes de choses à dire sur la guerre en Ukraine, mais bon là on entend parler d'envois de troupes françaises (Légion étrangère), une centaine de personnes seraient déjà à Slaviansk, et d'autres devraient les rejoindre pour un total de 1500. Les Etats-Unis annoncent un envoi de troupes. Les informations tombent par exemple sur le site Youtube de Military summary, un bielorusse apparemment qui parle en anglais. Vous avez plein d'autres sites Youtube, il y a par exemple le site HistoryLegends qui parle en anglais, mais semble avoir pour langue maternelle le français. Il y a des sites américains aussi. Là, je ne vous cite que des youtubeurs qui font des synthèses quotidiennes de ce qui se passe sur le terrain, de la guerre en cours. Je ne vous renvoie pas à des sites politiques qui vous parlent de la guerre selon leur sensibilité, ni de gens qui vendent plusieurs livres sur le conflit. Je pourrais à la limite vous citer les youtubeurs anglais (d'origine grecque) The Duran. Mais bon, je vous explique un peu le problème. Vous avez une guerre qui est faite au profit même pas des gens riches américains, mais au profit d'une élite de milliardaires avec des ramifications en Europe.
Ces gens parlent trop, on a plein de vidéos sur le net datant d'il y a quelques années où ils expliquent impudemment ce qu'ils veulent faire avec la guerre en Ukraine.
Alors, on parle aussi de la Chine.
Bon, soyons sérieux. Constatez vous-même les problèmes.
Les milliardaires américains, convaincus de leur grande intelligence, rigolent de l'armée chinoise qui ne saurait pas se battre au sol pour conquérir le territoire de Taiwan. Or, le problème n'est pas là. Les américains n'envahiront pas l'immense Chine, un milliard et demi d'habitants. Une guerre sur Taiwan, la marine chinoise n'a pas besoin d'envahir le pays, il faut faire un embargo maritime. Seuls les avions pourront encore envoyer des puces électroniques aux américains, et pas sans se faire abattre.
Ensuite, avec un milliard et demi d'habitants et un pays que personne n'ira envahir (Il n'y aura pas d'attaque par la Corée, ni par le Vietnam qui ne sont pas potes avec les américains, ni par l'Inde, etc.), les chinois peuvent avoir une production de chars qu'ils enverraient avec même éventuellement des hommes de leur armée sur le front ukrainien.
L'entrée en guerre de la Chine en Ukraine, c'est une question qui se pose.
On rigole des missiles qu'a fait pleuvoir l'Iran. Huit sont passés. Imaginez qu'ils mettent des ogives nucléaires la prochaine fois.
Oui, c'est un scénario catastrophe, mais il serait peut-être temps de commencer à y penser.
Là, aujourd'hui, il est question de pays de l'Otan qui vont envoyer des troupes en Ukraine. Ben, ça va être la chasse aux lapins. Ces soldats américains et français ne jouiront en aucun cas de la certitude d'être que si on les attaque il y aura une réplique nucléaire. En clair, les occidentaux ont inventé une énième marche de dérapage. Les russes vont bien évidemment détruire ces troupes américaines et françaises envoyées en Ukraine, et la discussion sur la guerre directe entre Otan et Russie sera toujours en suspens, sauf que tout s'aggrave, sans arrêt.
On parle de troupes qui ne sont même pas à Odessa, mais à Slaviansk, non pas à l'ouest, mais tout à l'est, directement dans le Donbass.
Vous vous faites une fausse idée si vous croyez que la Russie galère parce que nous avons un front à peu près immobile. Il ne faut pas penser ce conflit, comme les journalistes le font en termes de territoires conquis, la logique des russes c'est l'art opératif. Ils fixent le combat là où ça les arrange et ils détruisent progressivement toute l'armée ukrainienne, avec tout l'armement de l'Otan. Quand les ukrainiens ont repris une grande partie du territoire l'année passée, c'est parce que les russes ont préféré opéré une retraite considérant qu'ils étaient trop exposés. Ils se sont retirés pour avoir moins de pertes militaires et mieux gérer la destruction de l'armée ukrainienne. Le groupe Wagner qui voulait à tout prix prendre Bakhmut pour le prestige, c'était en contradiction avec l'art opératif de l'armée russe.
L'Ukraine est passée à la loupe par les satellites américains. On ne peut pas imaginer une guerre où des groupes de chars à découvert passent à l'attaque. Il y a les satellites américains et l'artillerie. Donc, forcément, pour limiter la casse, on a une guerre où on grappille prudemment et on privilégie le fait d'épuiser l'adversaire.
Et nos économies occidentales fonctionnent à flux tendu comme on le sait, et fonctionnent à l'offre et à la demande. Donc, il n'y a pas une production massive de munitions et d'engins de guerre à envoyer en Ukraine, puisque ça fonctionne à la demande économique. C'est l'Otan qui s'épuise dans cette guerre au niveau matériel. Les ukrainiens ne vont bien sûr pas envahir la Russie et aller jusqu'à Vladivostok, donc les russes auront toujours une base pour repartir en guerre, mais les ukrainiens eux ont un souffle court économique. Ils perdent aussi massivement des gens par l'exil d'une part et bien sûr par les combats puisqu'ils s'obsèdent à effacer qu'ils ont perdu 20% du territoire. Ils lancent des opérations pour faire parler d'eux, et ils meurent sans gain véritable. C'est ça ce qui se passe. Et je vous explique pas tout le cynisme des autorités ukrainiennes et aussi de l'Otan sur la population ukrainienne d'ensemble. Elle est purement et simplement sacrifiée, d'autant que s'il y a une partie nazie, ce n'est pas le cas d'une autre partie de la population... Ils font la guerre parce que les intérêts américains les y obligent, ainsi que les nazis locaux bien installés dans les moyens de pression.
Cette guerre va durer encore un certain temps et elle a des conséquences économiques désastreuses pour les pays de l'Union européenne. Et ce n'est pas terminé.
Et les porte-avions, vous croyez que c'est bien d'en avoir ? Les chinois ont l'air d'y croire. Mais ça ne vaut plus rien, c'est simplement vouloir afficher le prestige d'avoir une Rolls Royce dans l'armée. Les russes ont des missiles hypersoniques, et les chinois vont en être massivement dotés aussi. Les bateaux, les porte-avions, c'est des cibles faciles, réductibles à néant en quelques secondes, ça n'a pas d'avenir. Contrairement aux sous-marins...
 Puis, la structure de l'Otan, c'est une claire farce. Les anglais ne maîtrisent pas, vu les essais de 2016 et 2023, les tirs de missiles nucléaires à partir de leurs sous-marins, et ils n'envoient leur porte-avion sur les zones de conflit, parce qu'ils ont un problème de main-d'oeuvre, d'équipement, et d'accompagnement. Mais les porte-avions français et italien passent sous commandement de l'Otan, et donc sous commandement américain, ce qui veut dire que quand ça chauffe les américains demandent aux porte-avions français et italien de se porter en première ligne, eux restant à l'arrière.
Vous allez adhérer à la guerre en Ukraine jusqu'à quand ? Vous êtes tous débiles à ce point ? Et après, vous ferez la guerre pour Taiwan ?
Vous voulez tout gagner, vous allez tout perdre !

dimanche 5 mai 2024

Rimbaud et le romantisme, "orageux aquilons" !

Ceci est le début d'une rédaction de longue haleine, mais cela dit éloquemment le rapport de la poésie de Rimbaud à l'histoire littéraire de son siècle. Les rimbaldiens s'échauffent avec leur mauvaise foi quand on se dit qu'il faut attendre leur mort pour que notre parole soit libérée. Que font-ils d'autre que de tuer la parole qui dérange leurs vies mesquines, leurs intérêts de nantis ? On m'explique ?
Ce qu'il y a ci-dessous, ils ont décidé le plus résolument du monde de s'en amputer. C'est con, parce que ça contient de l'âme de Rimbaud. Ils doivent s'interdire d'explorer pleinement et sans reste de telles perspectives. C'est vrai ou c'est faux ? Ce sont des assassins, de moi, de Rimbaud, de la poésie, mais ils ont de beaux discours sur les bienséances morales, je n'en doute pas un instant. Ils ne peuvent seulement rien contre les rébellions absolues de tristesse...

***

Versifications romantiques :

 

Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques :

 

Publié en 1820, ce recueil a lancé la carrière littéraire de Lamartine qui avait déjà vingt-neuf ans, mais il s’agit aussi de la première œuvre romantique française en tant que telle, c’est le premier recueil de poésie romantique du patrimoine. Le recueil a eu un succès important immédiat et, bien que les poèmes aient été composés apparemment de 1815 à 1820, nous ne constatons aucune présence dans le discours critique de publications antérieures de l’un ou l’autre poème, ce qui coïncide avec le discours de l’avertissement sur le caractère jusque-là confidentiel et inédit des pièces rassemblées. L’édition de 1820 contenait 24 poèmes. Nous allons en tenir compte pour une première phase d’observation sur l’évolution du vers romantique dans la décennie 1820, nous nous intéresserons ensuite aux évolutions ultérieures du recueil dans la perspective d’une lecture par Rimbaud.

Le recueil pourrait être étudié dans sa continuité avec la poésie du dix-huitième siècle. Par exemple, le célèbre hémistiche : « Ô temps, suspends ton vol » du poème « Le Lac » est en réalité un plagiat, puisque Lamartine l’a repris au poème « Ode sur le temps » paru en 1762 de l’obscur Antoine-Léonard Thomas. La poésie de l’automne et des feuilles mortes vient également de poèmes du dix-huitième siècle, ainsi qu’une certaine propension à la méditation métaphysique. Mais Lamartine va renouveler la performance lyrique de ses modèles.

Le recueil est précédé d’un avertissement signé « E. G. » dont les dernières lignes servent de modèle à certaines préfaces de Victor Hugo pour ses recueils, notamment Les Feuilles d’automne :

 

[…] Nous sentons que le moment de cette publication n’est pas très heureusement choisi, et que ce n’est pas au milieu des grands intérêts politiques qui les agitent, que les esprits conservent assez de calme et de liberté pour s’abandonner aux inspirations d’une poésie rêveuse et entièrement détachée des intérêts actifs de ce monde ; mais nous savons aussi qu’il y a au fond de l’âme humaine un besoin imprescriptible d’échapper aux tristes réalités de ce monde, et de s’élancer dans les régions supérieures de la poésie et de la religion !

 

La formule de la poésie lamartinienne fait également l’objet d’une définition ou description rapide qui aura elle aussi des échos dans les discours des poètes ultérieurs : Hugo, Musset, etc. Je cite :

 

Le nom de Méditations qu’il a donné à ces différents morceaux en indique parfaitement la nature et le caractère ; ce sont en effet les épanchements tendres et mélancoliques des sentiments et des pensées d’une âme qui s’abandonne à ses vagues inspirations. Quelques-unes s’élèvent à des sujets d’une grande hauteur ; d’autres ne sont, pour ainsi dire, que des soupirs de l’âme.

 

Etant donné la continuité évidente de la poésie lamartinienne avec celle du dix-huitième siècle, nous devons insister surtout sur l’idée d’un abandon aux vagues inspirations et sur les « soupirs de l’âme » pour vraiment pouvoir prétendre à une date de naissance officielle de la poésie romantique.

 

« L’Isolement » : 13 quatrains de rimes croisées ABAB tout en alexandrins (52 alexandrins). Il s’agit de l’un des poèmes les plus célèbres de Lamartine, et il contient précisément son alexandrin le plus connu : « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. » En même temps, ce poème s’inspire lui aussi de cette « Ode sur le temps » de Thomas citée plus haut. Dans cette « Ode sur le temps », le poète que le temps entraîne vers la mort dit qu’il ose « [s]’arrêter un moment pour contempler [s]on cours. » Touché par le deuil, Lamartine s’assied pour contempler la nature au couchant, mais il le fait dans un état d’indifférence triste : « Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ; » « Je contemple la terre, ainsi qu’une ombre errante[.] » Une réécriture manifeste de vers se fait sentir, quand on compare les deux alexandrins suivants de Thomas : « Je n’occupe qu’un point de la vaste étendue ; » « Je parcours tous les points de l’immense durée, » et celui-ci de « L’Isolement » lamartinien : « Je parcours tous les points de l’immense étendue[.] » A cette aune, on peut se demander à quel point la rhétorique de tel vers de Thomas : « C’est en ne vivant pas que l’on croit vivre heureux[,] » a pu inspirer celle du célèbre : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. » Les ressorts du poème de Thomas font penser assez nettement à certains développements hugoliens. Ajoutons que l’anaphore en « Là » du poème « L’isolement » est issue elle aussi de la lecture du poème « Ode sur le temps » : « Là, de l’éternité commencera l’empire ; » et cela doit se doubler d’un intérêt de rimbaldien pour la dialectique « temps » et « éternité » du discours chrétien développé par Thomas. Dans « L’Isolement », l’anaphore en « Là » donne aussi l’idée d’une influence d’un tercet de l’un des plus célèbres sonnets de la deuxième édition de L’Olive de Joachim du Bellay :

 

Là, je m’enivrerais à la source où j’aspire,

Là, je retrouverais et l’espoir et l’amour,

Et ce bien idéal que toute âme désire

Et qui n’a pas de nom au terrestre séjour. (« L’Isolement », Lamartine)

 

Là est le bien que tout esprit désire,

Là, le repos où tout le monde aspire,

Là est l’amour, là, le plaisir encore. (du Bellay, L’Olive, CXIII)

 

Le dernier quatrain de « L’Isolement » s’inspire des « orages désirés » du René de Chateaubriand et eux-mêmes sont une référence pour la « Chanson d’automne » des Poèmes saturniens de Verlaine. L’influence de Lamartine sur Baudelaire doit également être prise en compte. Il était question des « régions supérieures de la poésie et de la religion » dans l’avertissement. Les éléments du poème « L’Isolement », admiration du couchant et cloches du soir ont à voir avec le dispositif mis en place dans Les Fleurs du Mal, et il faut déjà songer à des prestations telles que le poème « Elévation ». Fait amusant, Baudelaire est né en 1821, l’année qui a suivi la publication des Méditations poétiques. Enfin, il faut effectuer un retour sur Hugo et Rimbaud. Le titre Les Feuilles d’automne est une référence évidente au motif lamartinien repris au René de Châteaubriand :

 

Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :

Emportez-moi, orageux aquilons !

 

Rimbaud avait déjà quoi y prêter attention avec la « Chanson d’automne » de Verlaine, mais si Rimbaud a réécrit en « Qu’est-ce pour nous, mon Cœur, que les nappes de sang, » le premier vers du quatrième poème des Feuilles d’automne : « Que t’importe mon cœur ces naissances de rois / […] », je remarque que le « Qu’importe » figure dans le poème « L’Isolement » et cet élément s’inscrit dans la visée du vers : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » :

 

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières ?

Vains objets dont pour moi le charme est envolé ;

Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,

Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.

 

Que le tour du soleil ou commence ou s’achève,

D’un œil indifférent je le suis dans son cours ;

En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève,

Qu’importe le soleil ? je n’attends rien des jours.

 

Lorsqu’il réécrivait un vers des Feuilles d’automne pour composer « Qu’est-ce pour nous, mon Cœur,… » Rimbaud était parfaitement conscient que Victor Hugo avait conçu son recueil et son discours dans la référence aux Méditations poétiques de Lamartine. Le mot « aquilon » figure dans les deux premiers poèmes du recueil des Feuilles d’automne. Rimbaud avait identifié les modèles, d’un côté Lamartine et de l’autre Chateaubriand. Et il en joue dans « Qu’est-ce pour nous, mon Cœur,… », il reprend notamment le mot « aquilon » qui figure deux fois dans « L’Isolement », une fois au singulier, une fois au pluriel en mot de la fin !

 

De colline en colline en vain portant ma vue,

Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,

Je parcours tous les points de l’immense étendue,

Et je dis : Nulle part le bonheur ne m’attend.

 

[…]

Emportez-moi comme elle, orageux aquilons.

 

Cette réflexion sur le bonheur intéresse la lecture d’Une saison en enfer ou de « Ô saisons, ô châteaux ! » Rimbaud ignorait peut-être que Lamartine inversait le discours pieux de Thomas dans son « Ode sur le temps », mais il est évident que le poème de Lamartine chante un « désespoir » bien peu compatible avec l’exercice de la foi, et il est amusant de voir qu’entre le poème IV des Feuilles d’automne à « Qu’est-ce pour nous, mon Cœur,… » on passe d’une dénonciation classique de la vanité à une révolte au plan politique qui est finalement équivalente à l’abandon de tristesse de Lamartine.

Poursuivons… Baudelairiens ou rimbaldiens, nous n’en avons pas fini avec les bonnes surprises à la lecture de Lamartine.


mercredi 1 mai 2024

Rimbaud, lecteur des Feuilles d'automne : des sources frappantes !

Chronologiquement, Les Feuilles d'automne n'est que le troisième d'une longue liste de recueils de poésies de Victor Hugo. Toutefois, il s'agit pourtant d'une œuvre charnière. Le premier recueil a en réalité évolué dans le temps pour s'établir sous la forme définitive Odes et ballades avec cinq livres d'odes et un livre de ballades en 1828. Il s'agit du recueil où Victor Hugo était encore monarchiste. L'expression posée s'en ressent à la lecture : on ne sent pas tellement la différence avec la poésie solennelle des classiques, du moins au plan des odes. Le second recueil des Orientales a une réputation particulière de renouveau de la poésie française par la liberté du sujet traité et il s'agit cette fois d'un recueil qui joue fortement avec les descriptions, les récits envoûtants et les vertiges de la rime, etc. La manière lyrique de Victor Hugo s'est affirmée à partir des Feuilles d'automne et elle s'est stabilisée avec les quatre recueils Les Feuilles d'automne, Les Chants du crépuscule, Les Voix intérieures et Les Rayons et les ombres parus de 1831 à 1840, avant la longue interruption causée par la mort de la fille du poète Léopoldine. Les recueils de l'exil témoigneront chacun à leur manière d'évolutions significatives dans l'art du poète (Châtiments, Les Contemplations, La Légende des siècles et dans une moindre mesure Chansons des rues et des bois). Les quatre recueils lyriques parus de 1831 à 1840 jouissaient d'une grande réputation en leur siècle, ce dont témoigne notamment Verlaine qui les préfère aux recueils de l'exil. De nos jours, nous accordons un privilège quasi exclusif aux recueils de l'exil, auréolons des recueils posthumes comme La Fin de Satan ou conservons une certaine aura particulière aux Orientales sans vraiment le lire. Pour le reste, il y a les anthologies. C'est un peu comme ça que je vois le public actuel des lecteurs de poésies.
Le recueil Les Feuilles d'automne est donc le premier des quatre grands recueils lyriques intimes hugoliens d'avant l'exil. Ils datent de l'âge d'or du romantisme en société et de l'âge d'or de Victor Hugo en société qui rayonne au théâtre avec Hernani et Ruy Blas, qui a un grand roman à son actif Notre-Dame de Paris et qui domine la scène poétique. Le seul rival d'époque est Alfred de Musset, puisque Lamartine n'a pas confirmé et restera essentiellement l'homme de deux recueils de poésies : Les Méditations poétiques et les Harmonies poétiques et religieuses, même si quelques autres poèmes sont réputés.
Hugo attendra l'exil pour véritablement avec Les Contemplations s'emparer de la figure cosmique du poète propre aux créations lamartiniennes. Jusqu'en 1840, les visions hugoliennes sont plus de l'ordre du rêve et du mélange vertigineux des époques et des formes par les associations d'idées ("La Pente de la rêverie", "Dicté en présence du glacier du Rhône"), le cadre stellaire est présent, mais moins sensible que chez Lamartine. Alors que la présence du lecteur importe quasi peu au poète Lamartine qui semble parler tout seul et pour lui-même, Hugo est beaucoup plus dans la communication avec autrui. Il fait part de ses réflexions dans une forme d'expression intime renouvelée, avec une once de solennité, mais avec une sorte d'échange naturel qui laisserait inaperçue à bien des lecteurs la nouveauté de ton et de charme visionnaire qui s'offre à nous.
Enfin, non seulement le recueil Les Feuilles d'automne initie l'époque des quatre recueils lyriques intimes et romantiques de Victor Hugo, mais ce recueil a été publié à la fin de l'année 1831, après la révolution de juillet 1830. Hugo évolue, il est désormais en train de reconsidérer avec admiration l'épopée napoléonienne, il s'éloigne des idées monarchistes. Il se montre acquis au régime issu des "Trois Glorieuses", il s'intéresse à Lamennais. C'est quelque peu le Victor Hugo qu'épingle Rimbaud avec la formule "Trop de Lamennais et de Belmontet, vieilles énormités crevées". Rimbaud en trouve bien évidemment des indices dans la poésie ultérieure de l'exil, mais il connaissait forcément l'évolution globale du poète Hugo. D'ailleurs, il faudrait simplement trouver le texte critiquant Hugo dont il peut s'inspirer le 13 mai 1871 en rédigeant sa lettre pour Demeny.
La préface des Feuilles d'automne fait un point sur la situation politique nouvelle et à cette aune elle intéresse les études rimbaldiennes, d'autant qu'elle offre une sorte de point de comparaison entre le cas d'une révolution triomphale et le cas d'une révolution réprimée. Victor Hugo accueille la révolution, mais se maintient dans l'optique du livre de pure poésie. Il annonce que trois poèmes politiques déjà parus dans la presse sont réservés pour un futur projet de recueil politique. En réalité, les trois poèmes figureront au début du recueil suivant Les Chants du crépuscule, sans pour autant que celui-ci ne devienne spécifiquement politique. Le recueil Châtiments ayant une nature satirique et rhétorique particulière, c'est le recueil L'Année terrible qui, finalement, correspond sans doute le plus, à ce qu'on était en droit d'attendre et d'espérer de Victor Hugo dans cette annonce d'un recueil politique, le ton sarcastique en moins. Et le recueil L'Année terrible parle de la Commune et est contemporain de la période poétique de Rimbaud, ce qui permet une triangulation intéressante : Feuilles d'automne et pièces politiques incluses dans Les Chants du crépuscules, poésies de Rimbaud, L'Année terrible.
Prenons le poème IV des Feuilles d'automne. Indépendamment, Steve Murphy et moi-même avons identifié que l'hémistiche : "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,..." était la réécriture de l'hémistiche : "Que t'importe, mon cœur,..." du poème IV des Feuilles d'automne. Pour des raisons techniques, je n'ai jamais pu lire le livre de 1986 de Murphy Rimbaud et la caricature, mais d'après ceux qui le citent Murphy n'a pas exploité cette source. J'ai souligné que, une fois repérée la réécriture du premier hémistiche, on pouvait constater que l'allure d'ensemble du poème IV était disséminée dans le poème de Rimbaud "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,..." Les deux poèmes se terminent par une disparition qui ne laisse rien à la surface, mais avec un double plan ironique dans le cas du poème de Rimbaud, puisque à l'idée de l'eau qui recouvrait toute surface nous avons la réaction de la terre qui retombe et tue le poète.
Jacques Roubaud avait cité le poème "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,.." comme la pièce décisive dans l'évolution poétique de Rimbaud : c'était la pièce où Rimbaud tordait le cou à l'alexandrin hugolien. En réalité, il contient d'y adjoindre "Famille maudite" devenu "Mémoire". A l'époque de Roubaud, il y avait l'idée d'une composition précoce, en 1871 même, qui traînait au sujet de "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur..." et l'allure politique et hugolienne évidente du poème favorise l'idée de dire que ce poème-là précisément est celui de la remise en cause du modèle hugolien, remise en cause à nuancer puisqu'il s'agit en réalité d'une accentuation hyperbolique de procédés hugoliens.
Visiblement influencé par la lecture de Roubaud, Benoît de Cornulier qui avait publié déjà son livre Théorie du vers en 1982 a offert un article sur "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,..." dans la revue Studi francesi en 1991. L'article a été remanié il y a quelques années pour la publication du livre de Cornulier réunissant ses études principales sur Rimbaud, et ce n'est que dans ce livre que le parallèle avec "Mémoire" a été développé.
Mais, en 1991, Cornulier avait émis une thèse marquante sur le vers final de "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,..." La ligne ne s'étend que sur neuf syllabes, ce n'est pas un alexandrin. Cornulier disait qu'il s'agissait d'un alexandrin interrompu par la mort du poète. Je précise que justement sur le manuscrit cette vingt-cinquième ligne respecte l'émargement des quatrains d'alexandrins. Si Rimbaud n'avait pas voulu faire penser à un alexandrin, il aurait émargé différemment. La différence d'émargement était fondamentale à son époque, alors que les universitaires et éditeurs du vingtième et du vingt-et-unième siècle sont indifférents aux différences de marges entre des vers de différentes longueurs. Oui, il s'agit bien d'un alexandrin interrompu par la mort du poète. Rimbaud n'est pas allé jusqu'à l'interruption au milieu d'une phrase.
Cornulier a aussi souligné les articulations d'un dialogue entre l'Esprit et le Cœur, ce qui permettait de mieux comprendre la dynamique contradictoire du discours tenu dans ce poème.
Mais Cornulier, toute sa vie durant, n'a fait que soutenir les conclusions globales de son livre Théorie du vers. En 1980 et 1982, Cornulier affirmait que vu le non respect de certains critères Rimbaud ne pratiquait plus la césure dans les poèmes suivants : "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,...", "Mémoire", "Juillet", "Jeune ménage", "Conclusion" (de "Comédie de la soif"), "Larme", "La Rivière de Cassis", "Michel et Christine" et "Est-elle almée ?..." Il en a fait le bloc de neuf poèmes sans césure. Il a fait des interprétations similaires pour des poèmes tardifs de Verlaine. Et dans le cas de "Tête de faune", il l'a distingué des autres en en faisant un poème qui avait encore une trace de césure, mais qui changeait de césure dominante quatrain après quatrain, ce qui sera ensuite approfondi par une étude de Philippe Rocher. En clair, en métrique, après 1982, et malgré tous les articles riches d'approfondissements, Cornulier est devenu complètement "has been". Il a cessé d'avoir la capacité de comprendre la métrique, et Roubaud ayant lâché l'affaire, et les métriciens ne faisant que marcher dans le cadre fixé par Théorie du vers : Bobillot, Gouvard, etc., les études métriques n'ont pas atteint le dernier stade de la mise au point, alors même que l'interprétation métrique de "Tête de faune" était résolument une contradiction interne à tout le discours d'ensemble du livre Théorie du vers. Cela fait quarante-deux ans de non remise en question...
Bien que personne n'en dise et que du coup la réussite ne me soit pas accordée, il m'est revenu l'honneur de dépasser ce stade et de montrer, en prouvant mes dires, que Rimbaud jouait avec la césure et disséminait des indices à ses lecteurs pour montrer qu'il en tenait compte dans les neufs poèmes observés. J'ai prouvé d'évidence que "Qu'est-ce" et "Mémoire" jouaient avec la césure normale, comme "Tête de faune", "Jeune ménage", "Juillet" (l'article récent de Cornulier reprend en réalité mon discours sur les césures de ce poème), et j'ai aussi pas mal étayé la lecture avec une césure après la quatrième syllabe pour "Larme". J'ai utilisé des preuves : au lieu de prendre tous les critères, j'ai fait un repérage sur des critères exclusifs, ainsi de l'enjambement de mots dans "Juillet" et "Mémoire" qui ne figure qu'au milieu des deux poèmes. Dans le cas de "Qu'est-ce", je montrais une organisation des césures pour des effets de sens, et je soulignais que les enjambements de mots manifestaient l'idée imagée de la mer qui fait disparaître les points fixes des terres émergées. Il s'agissait d'un recouvrement des bornes par le déferlement de l'onde révolutionnaire. Et quand le poème montrait que la Terre réagissait avec ces blocs qui retombent et tuent le poète, la césure tendait à s'imposer pratiquement complètement à nouveau. En tout cas, il n'y avait plus d'enjambement de mots.
Or, je mets le dernier clou à ma démonstration. Non seulement "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,..." s'inspire de "Que t'mporte, mon coeur,..." le quatrième poème des Feuilles d'automne, mais cette métaphore du flot révolutionnaire qu'on retrouve à la fin du recueil L'Année terrible est précisément déployée à la fin du poème III des Feuilles d'automne, comme par hasard la pièce qui précède le poème démarqué par Rimbaud en 1872 :

Ecoutez, écoutez, à l'horizon immense,
Ce bruit qui parfois tombe et soudain recommence,
Ce murmure confus, ce sourd frémissement
Qui roule, et qui s'accroît de moment en moment.
C'est le peuple qui vient, c'est la haute marée
Qui monte incessamment, par son astre attirée.
Chaque siècle, à son tour, qu'il soit d'or ou de fer,
Dévoré comme un cap sur qui monte la mer,
Avec ses lois, ses mœurs, les monuments qu'il fonde,
Vains obstacles qui font à peine écumer l'onde,
Avec tout ce qu'on vit et qu'on ne verra plus,
Disparaît sous ce flot qui n'a pas de reflux.
Le sol toujours s'en va, le flot toujours s'élève.
Malheur à qui le soir s'attarde sur la grève,
Et ne demande pas au pêcheur qui s'enfuit,
D'où vient qu'à l'horizon l'on entend ce grand bruit !
Rois, hâtez-vous ! rentrer dans le siècle où nous sommes,
Quittez l'ancien rivage ! - A cette mer des hommes
Faites place, ou voyez si vous voulez périr
Sur le siècle passé que son flot doit couvrir !
[...]
Je viens de citer une part essentielle de la fin du poème "Rêverie d'un passant à propos d'un roi". Notons que le poème se finit par une chute soudaine comparable à la mort du poète dans la pièce rimbaldienne : "- Compagnon, le soleil est couché."
La pièce IV : "Que t'importe mon cœur", se poursuit par l'hémistiche : "ces naissances des rois", ce que Rimbaud a remplacé par "que ces nappes de sang". Le mot "Rien" important dans le poème de Rimbaud démarque celui du vers 6 du morceau hugolien : "Rien ici-bas qui n'ait sa vanité[.]" Les grands noms du poème hugolien : "Napoléon, César, Mahomet, Périclès," cèdent la place aux frères anonymes. Et Rimbaud démarque l'idée de "vanité" : "Hélas ! plus de grandeur contient plus de néant !" mais non pas pour souligner la vanité. Et l'écho est important entre les quatre derniers vers du sizain final du poème d'Hugo et la fin du poème de Rimbaud :
[...]
    Rien qui ne tombe et ne s'efface !
Mystérieux abîme où l'esprit se confond !
A quelques pieds sous terre un silence profond,
    Et tant de bruit à la surface !
Dans "Qu'est-ce pour, mon Cœur,...", Rimbaud met en scène une rage impuissante qui fait écho à l'idée qu'une telle parole n'est que bruit à la surface jusqu'à son extinction par la mise à mort, sauf que le roi a laissé la place à la figure du révolté, et surtout l'interprétation par la vanité n'arrive pas à s'imposer. Il y a une factualité de l'échec qui ne se termine pas par un constat de vanité. Dans le poème hugolien, la vanité est un moyen d'enlever sa légitimité au discours du roi. Ce qui est intéressant, c'est que l'échec par la mort n'apparaît pas avec évidence comme un procès du discours tenu :
Ce n'est rien ! j'y suis ! j'y suis toujours.
Le révolté n'a pas été exterminé par des rois, qui plus est. Le poème de Rimbaud interroge les limites de la morale consensuelle sur la sage résignation, puisqu'il est sous-tendu par un constat d'amertume qui dénonce la répression. On ne détermine pas une loi morale par le constat du fait accompli. Rimbaud a un cadre intellectuel plus ouvert que celui manifesté par Hugo.
Véritable trésor, le recueil Les Feuilles d'automne s'ouvre par le célèbre poème : "Ce siècle avait deux ans..." Hugo se trompe au plan mathématique, il confond les ordinaux et les cardinaux dans le décompte des siècles. En février 1802, le siècle n'avait encore qu'un an, mais peu importe. En-dehors des mérites exceptionnelles du poème, j'ai toujours pensé que le vers : "J'ai plus d'un souvenir profondément gravé," était la source au fameux : "J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans" de Baudelaire, mais je me demande aussi dans quelle mesure cette pièce a pu inspirer certains vers de "Voyelles".
Allongeons la citation que nous venons de faire :
J'ai plus d'un souvenir profondément gravé,
Et l'on peut distinguer bien des choses passées
Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées.
[...]

Il s'agit de l'un des passages clefs chez Hugo qui peuvent justifier le rapprochement avec la fin du premier tercet de "Voyelles" : "paix des rides / Qu'imprima l'alchimie aux doux fronts studieux" (version remise à Verlaine) ou "paix des rides / Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux".
Il y a d'autres vers sur les rides dans Les Feuilles d'automne.
Le second vers de "Voyelle" : "Je dirai quelque jour vos naissances latentes", où notez la présence du mot "naissances" du poème IV des Feuilles d'automne, mot clairement remplacé dans "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." par "nappes de sang", ce second vers, dis-je, entre en remarquable résonance avec deux telq vers de "Ce siècle avait deux ans..." : "[...] Je vous dirai peut-être quelque jour / [...]" et "Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse / [...]". La répétition au sein du poème hugolien contribue à renforcer l'hypothèse d'un modèle ayant inspiré Rimbaud.
Je rappelle que tout à l'heure j'opposais la manière visionnaire de Victor Hugo à celle d'observation cosmique de Lamartine. Hugo en particulier dans Les Feuilles d'automne avec "Ce siècle avait deux ans...", "La Pente de la rêverie", définit la matière vibratoire de sa création poétique. Je cite ces vers de "Ce siècle avait deux ans..." :
[...]
C'est que l'amour, la tombe, et la gloire, et la vie,
L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie,
Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,
Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore
Mit au centre de tout comme un écho sonore !
Je continuerai le relevé dans un prochain article, ceci est déjà tellement éloquent.

- Allo, allo ! appel à toutes les unités rimbaldiennes ! David Ducoffre a encore frappé ! Il faut tout un programme renouvelé pour le contrecarrer. X, Y, Z, ne buvez pas tant de café !

lundi 29 avril 2024

Anges étranges : resserrement de l'importance d'Hugo, Gautier et Baudelaire autour de "Voyelles"

L'enquête est toujours en cours, mais je dresse un peu un état de ses avancées à mi-parcours. Je savais que cette rime allait surtout concerner Hugo et Baudelaire, mais avec cette différence que la relation "mondes" et "anges" est plus nette dans Les Contemplations. Puis, j'avais cette présence de la rime dans des poèmes épars de Gérard de Nerval.
L'enquête permet d'avancer.
Pour un lecteur de poésies de la seconde moitié du vingtième siècle, les deux recueils Les Contemplations et Les Fleurs du Mal sont des références précoces et primordiales, ce sont des recueils que nous relisons quantité de fois. Cela a un effet de banalisation de la rime "étrange(s)"/"ange(s)" qui figure aussi dans les poésies de Rimbaud.
Quand on élargit l'enquête à d'autres recueils du dix-neuvième et même à d'autres recueils de Victor Hugo, la rime "étrange(s)" / "ange(s)" devient rapidement beaucoup plus rare. Nerval est l'exception, puisque par son nombre limité de poèmes en vers il offre un peu le profil statistique du cas rimbaldien, je dirais. Tout cela sera mis à plat ultérieurement, je citerai systématiquement les extraits de Nerval qui m'intéressent, ceux de Rimbaud aussi, ce qui inclut "Les Corbeaux" où il n'y a pas la rime, mais les mots clefs "angelus" et "Armée étrange", avec "bonne voix d'anges" dans "La Rivière de Cassis".
Il y a une coïncidence importante que je remarque : le recueil Les Contemplations date de 1856 et la première version des Fleurs du Mal de 1857. Je vais d'ailleurs étudier l'évolution des mentions "ange" et "étrange" d'une édition à l'autre des trois des Fleurs du Mal. Il va de soi que l'idée d'une influence d'Hugo sur le recueil de 1857 n'est pas à retenir, puisque le recueil de Baudelaire relève d'une gestation lente, c'est un peu le recueil de toute une vie.
C'est une coïncidence, parce que les premiers recueils de Victor Hugo ne préparent pas du tout à cette abondance d'emploi dans Les Contemplations, donc c'est un peu comme si Hugo et Baudelaire s'étaient donné le mot d'utiliser cette rime et même le couplage des mots "ange" ("archange") et "étrange" au même moment de publication de leurs œuvres respectives, mais sans se concerter.
Mais, j'ai eu une surprise dans le cas de Baudelaire. J'ai pris pour référence la version de 1868 avec la préface de Gautier que j'ai incluse dans mon travail d'investigation. Cette édition n'est jamais prise comme le point de départ d'une recherche rimbaldienne, on se contente des éditions de 1857 et de 1861 vendues dans le commerce, alors que Rimbaud a clairement été le lecteur de l'édition de 1868 et du complément Les Epaves.
Prenons le cas de Longfellow. Rimbaud a écrit le poème "Being Beauteous" en reprenant cette expression à la rime d'un poème en anglais du recueil Voices of the night de 1839. Longfellow est un poète américain dont la réputation est énormément retombée au vingtième siècle, c'est de la poésie sentimentale assez faible, et Longfellow finissait plus volontiers par écrire pour les enfants. On dit rapidement que Rimbaud devait le sentir et donc "Being Beauteous" ce serait du Longfellow en volontairement amélioré et retourné. C'est plus compliqué que ça. Il y avait une relative barrière de la langue, et Baudelaire a imité à deux reprises Longfellow dans ses Fleurs du Mal, une fois dans "Le Guignon", une fois dans "Recueillement". Le plagiat dans "Le Guignon" est très connu, particulièrement sensible, et il vient précisément d'un poème du recueil Voices of the night. Seulement, Baudelaire n'a pas déclaré que "Le Guignon" et "Recueillement" s'inspiraient de poèmes de Longfellow. En revanche, dans l'édition de 1868 des Fleurs du Mal, Banville et Asselineau ont intégré le poème "Le Calumet de la paix" où le titre est complété de la mention "imité de Longfellow". Et il y aurait à dire sur une certaine ressemblance de manière de description, de mouvement et de plan d'influence cosmique d'un être sur les autres entre "Le Calumet de la paix" et "Being Beauteous". Et du coup Rimbaud ayant affaire à cette mention spéciale, il pouvait plus facilement avoir la volonté de lire du Longfellow et pouvait aussi plus facilement repérer la source anglaise du poème "Le Guignon".
Je remarque que Verlaine a cherché à introduire dans ses Romances sans paroles une citation en épigraphe de Longfellow, épigraphe en anglais, et que celle-ci a été remplacée par une épigraphe inédite, peut-être une "private joke" obscène, de Rimbaud : "Il pleut doucement sur la ville."
Je remarque que les commentaires de "Being Beauteous" s'en tiennent à considérer comme accessoire l'emprunt à Longfellow. Je pense qu'il va falloir creuser le sujet au contraire.
Vous comprenez donc l'importance de l'édition de 1868 des Fleurs du Mal pour un rimbaldien.
La préface de Gautier contient de nombreuses mentions du mot "étrange" et quelques-unes du mot "ange" si je ne m'abuse. Autrement dit, Gautier aurait repéré lui-même l'abondance si particulière de la mention "étrange" dans les vers de Baudelaire. Je dois aussi étudier si Gautier usait lui-même beaucoup de la rime "ange" / "étrange", je n'ai pas encore enquête à ce sujet. Cela ferait lien avec ce que j'ai trouvé dans les vers de Gérard de Nerval, l'ami de Gautier.
On verra.
La rime "ange(s)"/"étrange(s)" est très présente chez Baudelaire, et je l'enrichis des variantes avec "Michel-Ange" et surtout "archange". Je relève évidemment les mentions des mots "Ange" et "étrange" ailleurs qu'à la rime, et là encore ça reste une moisson exceptionnelle. Je rappelle que vers 2002 sur le site "Les Poetes.com", j'avais fait un relevé de tous les poèmes de Baudelaire où une strophe, un quatrain, un sonnet se terminaient par une mention du regard ou des yeux dans Les Fleurs du Mal, ce qui correspond au cas de "Voyelles".
Je remarque aussi que dans "Voyelles" Rimbaud utilise le néologisme "vibrements" qui vient de Théophile Gautier et le discours de la fin de préface de Gautier insiste sur la spiritualité de Baudelaire et du coup sa propension à être un voyant qui praique l'art des correspondances, et dans "Réflexions à propos de quelques-uns de mes contemporains" Baudelaire insistait sur le fait que les derniers recueils de Victor Hugo et même son roman Les Misérables révélait un Hugo voyant maîtrisant comme jamais l'art des correspondances. On a une confirmation de plus en plus écrasante que "Voyelles" fait référence à Baudelaire, Hugo et Gautier, et on n'est pas dans un pur objet de dérision pour Rimbaud.
Et la rime "anges"/"étranges" n'est pas dérisoirement vague.
La rime concerne en particulier Hugo. Pour "La Trompette du Jugement", le début de poème contient une rime "change"/"Archange", et la rime est peu présente, voire quasi pas du tout dans La Légende des siècles. La rime est très peu présente dans les recueils de Victor Hugo, il y a un début de relief dans Les Voix intérieures avec notamment un début de poème frappant où il est question de Virgile voyant païen qui annonce le Christ, mais le rapprochement est plus suggestif et spectaculaire qu'éclatant avec "Voyelles". Le recueil Châtiments lu dans sa version définitive, mais peu importe on dirait, déploie quelque peu la rime et les deux mots, et j'ai été frappé par le fait qu'une fin de poème "Les Martyres" soit si évidente à rapprocher des "Mains de Jeanne-Marie" et il en va de même avec un poème des Contemplations. Surtout, comme Nerval, l'emploi de la rime chez Hugo résonne fortement avec le cadre rimbaldien, mais il y a un élargissement facile à faire avec Baudelaire quand on élargit le cadre, car Baudelaire joue plus d'une fois sur l'ange ou la perspective de lumière qui juge ce monde ou le transcende, et le pluriel "mondes" accouplé à "anges" détourne de l'image d'un plan où en regardant le ciel on voit un ange du Jugement dernier et une pluralité de mondes.
Je vais systématiquement tous les extraits relevés chez Hugo et Baudelaire, et tout devient rapidement assez clair pour les lecteurs.
Je dois encore éplucher de près les poèmes de Lamartine, voire de Banville. Et puis faire des sondages complémentaires. Je dois étudier le cas des poèmes de Gautier aussi. Je dois étudier les mentions "monde(s)".
Je vais bien prendre mon temps.
En attendant, un petit bonus baudelairien. Le poème "Oraison du soir" s'inspire principalement de "Un voyage à Cythère" parmi les poèmes des Fleurs du Mal, mais son titre fait un écho tellement évident à "Harmonie du soir" que je ne saurais trop vous conseiller de lire d'abord "Oraison du soir" et d'enchaîner la lecture du dernier tercet avec celle de "Harmonie du soir". Je pense que vous aurez un effet d'incidence de lecture des fleurs ployant consentantes sous l'urine à l'effet de tournoiement des fleurs dans "Harmonie du soir"...