mardi 24 avril 2018

Compte rendu de l'article "La FAQ des 'Illuminations' d'Alain Bardel (dernière partie)

Suite et fin de Cauchemar en rimbaldie avec David the best.

Il me reste à me pencher sur la septième question et surtout sur la quatrième question : est-ce que nous avons affaire à un recueil structuré ?
Bardel nous prévient lui-même que le fait de traiter cette question avant celle de la pagination du dossier de 24 pages n'est pas courant, je le cite : "On aborde souvent cette question par le difficile problème de la numérotation des vingt-trois premiers feuillets [...] Nous nous réserverons de revenir sur ce thème plus loin [...] Nous préférons, pour commencer, relever les nombreux indices d'une intention organisatrice dont l'initiative incombe à l'évidence à Rimbaud lui-même."
La démarche a sa légitimité, mais cette annonce que je viens de citer ne tombe que dans le second paragraphe de réponse à la quatrième question. Dans le premier paragraphe, Bardel s'est permis de considérer, sur le sujet réservé de la pagination, que les transcriptions manuscrites sur vingt-trois feuillets avaient de toute façon "possiblement numérotées par l'auteur lui-même". L'adverbe "possiblement" est mis uniquement pour la forme, ou bien encore l'adverbe "possiblement" désigne plus volontiers le probable que le possible dans l'esprit de cet article. En nous référant à une étude en ligne de Jacques Bienvenu qui a fait le point sur le sujet, nous avons vu qu'il n'en était rien. La pagination fut le fait de l'équipe Fénéon. Pourtant, dans la réponse à la quatrième question, Bardel joue sur l'impression pour le lecteur que la pagination est bien de Rimbaud, de manière à créer le sentiment d'évidence d'une structure de recueil voulue par celui-ci. C'est assez maladroit. Si Bardel veut mettre entre parenthèses la question de la pagination, il doit rigoureusement se rabattre sur la seule étude des manuscrits. Il peut parler de la pagination, mais seulement comme critère convergent avec d'autres observations.
Bardel touche du point l'indice manuscrit qui coïncide avec la pagination des vingt-trois feuillets, mais il n'en fait rien et n'expose pas du tout correctement le problème. Donc, comme le rappelle Bardel, dans la série numérotée de 24 pages sur 23 feuillets, nous avons un ensemble homogène de transcriptions sur des "feuilles de papier de qualité et de format identiques" : "les f° 2-17, 19-20 et 23-24". Il y a donc une unité possible, à condition d'extrait le feuillet contenant "Après le Déluge", le feuillet 1, puis les fameux feuillets 12 et 18 et enfin le feuillet dont les transcriptions au recto et au verso forment les pages 21 et 22 de l'ensemble. Bizarrement, Bardel donne un fac-similé important, celui d'une première version raturée du poème "Enfance I" au verso du feuillet paginé 24, mais pas pour révéler un indice supplémentaire de l'unité formée par cet ensemble, car il ne le donne que pour illustrer deux types d'écriture de Rimbaud sur les manuscrits. Pire encore, la pagination est si peu mise de côté que, de toute façon, Bardel ne peut s'empêcher de considérer qu'il est probable que Rimbaud ait lui-même placé le manuscrit de "Après le Déluge" en page 1, plutôt que Fénéon.
Or, en toute rigueur, ce qui se dégage, c'est que Rimbaud avait à sa disposition un certain nombre de feuilles. Il a choisi de n'écrire qu'au verso et a effectivement offert une transcription suivie d'un certain nombre de ses poèmes. Il a raté certaines transcriptions, en tout cas celle de "Enfance I" dont une version raturée apparaît sur le dernier feuillet, désormais paginé 24, qui contient "Barbare". Sans que cela ne soit prouvé, ce doublon biffé de "Enfance I" conforte l'idée que l'ordre de ces manuscrits n'a jamais été bouleversé. Quelques feuillets manuscrits ont été intercalés, mais les autres feuillets ont de bonnes chances de ne jamais avoir été mélangés.
Evidemment, avant que des manuscrits d'une autre nature ne soient mélangés à cet ensemble, que ce soit par Rimbaud ou Fénéon, il semble donc que la suite originelle des poèmes en prose était la suivante, en sachant que, par-dessus le marché, je vais tenir compte des enchaînements de textes d'un feuillet manuscrit à l'autre. En effet, quand la transcription passe d'un poème à l'autre, leur classement l'un par rapport à l'autre ne pose plus problème. En gros, et cela a déjà été repéré par Guyaux et d'autres avant moi, certains ensembles sont indivisibles, je vais les représenter entre crochets :

[Enfance I-II-III-IV-V-Conte] [Parade] [Antique-Being Beauteous - "Ô la face cendrée..."] [Vies (I-II-III)-Départ-Royauté] [A une Raison-Matinée d'ivresse-Phrases] [(Les) Ouvriers - Les Ponts - Ville - Ornières] [(II biffé) Villes - Vagabonds - (I biffé) Villes] [Veillée (titre rétabli) - Mystique - Aube - Fleurs] [Angoisse - Métropolitain - Barbare]

C'est à qui est important. Il est indiscutable que Rimbaud a réuni les cinq poèmes sous le titre "Enfance" à "Conte", qu'il a réuni "Antique", "Being Beauteous" et "Ô la face cendrée...", qu'il a rassemblé "Vies", "Départ" et "Royauté", qu'il a créé une suite "A une Raison", "Matinée d'ivresse" et "Phrases". Les poèmes "Ouvriers", "Les Ponts", "Ville" et "Ornières" s'enchaînent en fonction d'une volonté délibérée de la part de Rimbaud, tout comme la suite "Villes", "Vagabonds" et "Villes" ou bien tout comme cette autre : "Veillée", "Mystique", "Aube" et "Fleurs", tout comme cette autre encore : "Angoisse"-"Métropolitain"-"Barbare". Toutes ces suites sont assez faciles à justifier au plan thématique, il y a toujours une pertinence sensible à ces rapprochements, à l'exception peut-être de "Conte", "Départ" et "Royauté" qui demandent peut-être plus d'attention critique. Seul "Parade" est isolé sur un seul feuillet.
Evidemment, il est impossible de savoir si l'équipe Fénéon, ou Charles de Sivry ou Cabaner (peu importe), n'a pas déplacé l'ordre des séries. Même s'il n'est pas sot de rapprocher la clausule de "Conte" de celle de "Parade", impossible de trancher si c'est un fait voulu par Rimbaud ou si c'est Fénéon qui a pu se dire que les deux clausules méritaient de se succéder.
J'ai tendance à croire que cet ordre n'a pas été bouleversé, mais je serai plus prudent que Bardel et je me contenterai de dire que je n'en sais rien. Peut-être que j'aurai de nouvelles idées un jour, mais pour l'instant j'en suis là.
Je trouve plus qu'intéressant le dégagement de ces séries. Se dire qu'il y a un lien dans l'esprit de Rimbaud qui justifie le rapprochement de "Angoisse", "Métropolitain" et "Barbare" je pense que c'est un bien précieux pour la réflexion sur ces poèmes en prose.
Mais, ce constat d'une organisation pensée par Rimbaud oblige à ne pas inclure les effets de la pagination, exclusion que Bardel ne parvient pas à maintenir et qu'il l'empêche de bien clarifier les choses et d'arriver à des résultats intéressants.
Voici d'ailleurs pour ceux qui ont eu la patience de me lire un scoop exceptionnel. La continuité entre "A une Raison" et "Matinée d'ivresse" est éblouissante, puisque, du fait de la succession, on comprend que "Matinée d'ivresse" décrit la suite immédiate de l'exaltation dans la "nouvelle harmonie" du poème "A une Raison". En effet, quand le poète s'écrie : "Ô mon Bien ! Ô mon Beau !", nous sommes dans la suite logique du poème "A une Raison" qui chantait l'avènement de la "nouvelle harmonie" et "Matinée d'ivresse" enchaîne avec la retombée dans "l'ancienne inharmonie". Par je ne sais quel miracle, ceux qui prétendent que le recueil est structuré n'ont pas vu cet effet de suite, et c'est moi qui ne crois pas à la structure de recueil qui l'ait vu, véritable aubaine, car si quelqu'un l'avait vu avant moi ce serait l'argument le plus fort qui existe pour prétendre que le défilement des poèmes a été pensé par Rimbaud. La différence, c'est que j'envisage des suites limitées, quand d'autres songent à une loi de succession des poèmes étendue à tout le recueil. Il est vrai que peu de rimbaldiens s'intéressent à "A une Raison", poème au phrasé trop simple que pour séduire certains, alors que, du point de vue poétique, c'est un chef-d'oeuvre d'intensité. Le traitement négligent dont a souffert "A une Raison" explique à l'évidence que l'effet de succession voulu pour "Matinée d'ivresse" ait échappé à l'attention.
Et comme je ne perds jamais de vue mes objectifs à long terme, j'en profite pour préciser que la dénonciation du temps dans "A une Raison" rejoint bien évidemment la critique du "temps" trop lent dans "L'Impossible" ou "L'Eclair". J'aurai l'occasion d'y revenir, mais c'est encore une fois la preuve qu'il est extrêmement dommageable de ne pas envisager 1) que poèmes en prose et Une saison en enfer ne sont pas des projets à part l'un de l'autre, 2) que très sérieusement des poèmes en prose ont tout l'air de tenir un discours providentiel et orgueilleux faisant l'objet d'une certaine réfutation dans Une saison en enfer.
Pour revenir à la question des manuscrits, il faut comprendre dès lors que "Après le Déluge", "Veillées I et II", cinq poèmes brefs souvent considérés comme la suite de "Phrases" mais à tort visiblement, ainsi que "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver" doivent rejoindre les poèmes transcrits sur des manuscrits différents.
D'après une étude de l'écriture de Rimbaud, ces autres manuscrits seraient plus anciens que l'ensemble que nous venons de traiter. C'est en tout cas ce que plaide Bardel qui s'appuie sur la thèse de Guyaux dans Poétique du fragment. Je ne vais pas traiter ici de l'écriture "dextrogyre" et de l'écriture sinistrogyre", si ce n'est que, quand j'y reviendrai, je n'adopterai pas ces deux termes qui ne conviennent pas. En tout cas, si les manuscrits sur des papiers différents témoignent bien de transcriptions plus anciennes, il faut noter qu'en ce cas ils sont plus anciens que les copies de "Villes" et "Métropolitain" où apparaît la main de Germain Nouveau. Ils semblent donc être tous antérieurs au mois de juin 1874. Il serait également vraisemblable que Rimbaud n'ait pu continuer à transcrire sur un format homogène tous les poèmes, faute de papier, ce que tend à attester le doublon biffé de "Enfance I".
Maintenant, les autres manuscrits contiennent eux aussi des successions de poèmes. Il convient également d'en rendre compte au moyen de crochets :
["Après le Déluge"] ["Veillées" I et II] [cinq poèmes brefs sans titre] ["Nocturne vulgaire - Marine - Fête d'hiver] ["Scènes"] ["Promontoire"] ["Soir historique"] ["Mouvement"] ["Bottom" et "H"] ["Solde"] ["Fairy"] ["Jeunesse" I, II, III et IV] ["Guerre"] ["Génie"]. Cas à part de "Dévotion" et "Démocratie" pour lesquels aucun manuscrit n'est parvenu (transcription sur un ou deux manuscrits ?).
Les seules nouvelles suites qui apparaissent, c'est la série de quatre poèmes sous le titre "Jeunesse" et le couple formé par "Bottom" et "H".
Remarquons que Bardel, cette fois, ne fait rien de la pagination qui impose la suite "Solde" (f° I), "Fairy" (f° II), "Jeunesse I, II, III et IV" (f° III et non paginé), "Guerre" (f° IV) et "Génie" (f° V). Que du contraire, Bardel félicite Guyaux d'adopter un consensus privilégiant la succession "Fairy", "Guerre", "Génie", "Jeunesse" et "Solde", ce qui n'est pas logique. En effet, soit Bardel considère que cette pagination fut aussi le fait de Rimbaud, soit il pense que cette pagination fut le fait de Fénéon, mais dans tous les cas, comment peut-on remonter à un ordre antérieur à cette pagination ? De quel droit prétendre que "Solde" doit clore la série. L'affirmation est complètement gratuite.
Il est plus prudent de respecter l'ordre paginé et de clore l'ensemble par "Génie", encore que je considère qu'une certaine liberté est possible, vu qu'à l'évidence, au-delà de la partie homogène sur un même type de papier, tout le reste a probablement été mélangé par l'équipe Fénéon. Il faudrait passer du temps à étudier les profils des manuscrits, les profils de l'écriture, pour voir si on peut progresser, mais l'idée c'est que l'ordre dans lequel tout cela est arrivé dans les mains de Charles de Sivry est irrémédiablement perdu.

Je reviendrai sur la question des manuscrits ultérieurement, mais je voulais juste opérer une dernière mise au point. J'ai tendance à considérer "Vies" comme un seul poème, car je me suis penché de très près sur ce texte et je me suis rendu compte que l'arrangement des répétitions de mots impliquait les trois volets à la fois. Par conséquent, il s'agit d'un seul poème. En revanche, par le parallèle des amorces sur la lumière, constaté jadis par Guyaux : "C'est le repos éclairé...", "L'éclairage...", "Les lampes...", je considère qu'il y a trois poèmes autonomes qui mériteraient le titre au singulier "Veillée". En l'état actuel de nos connaissances, il faut considérer que deux ont été regroupés sur un manuscrit "Veillées I et II", le troisième étant demeuré à part avec un titre au singulier "Veillée". Il est possible que ce soit par une pratique abusive de Fénéon que nous lisons aujourd'hui un seul groupe de trois "Veillées". C'est aussi pour des raisons esthétiques que je différencie deux poèmes "I" et "II" sous le titre "Veillées". Je ne vois aucune difficulté à parler de plusieurs poèmes pour "Enfance" et "Jeunesse". Ce qui me tient à coeur, c'est de bien considérer "Vies" comme un seul poème, les chiffres romains n'étant pas à même sur le même plan que "Enfance" et "Jeunesse". Il est donc aberrant pour moi de parler du poème "Vies III" par exemple, il n'a pas cette autonomie.
L'absence de sous-titre pour "Jeunesse IV" invite à penser à un manque d'aboutissement du projet de recueil au passage. La mention "Veillées" au crayon à côté de "Jeunesse IV" vient visiblement de cette absence de sous-titre, et cette mention au crayon allographe est imputable encore une fois à l'équipe Fénéon. Objetivement, malgré l'absence de sous-titre, "Jeunesse IV" figure à la suite sur le même feuillet manuscrit de "Jeunesse II Sonnet" et "Jeunesse III Vingt ans". Il faudra en demeurer à la lacune du sous-titre pour "Jeunesse IV". Nous pourrions penser à un seul poème avec quatre parties, trois ayant un sous-titre. Mais, les remaniements sensibles du manuscrit et l'absence de sous-titre pour la quatrième pièce imposent la conclusion suivante : "Jeunesse" est un regroupement tardif et un peu inabouti de quatre poèmes distincts.
Un problème délicat semble enfin se poser avec les chiffres romains. La suite "Villes" - "Vagabonds" - "Villes" est étonnante. Le premier poème au titre "Villes" est accompagné d'un "II" biffé et le second d'un "I" biffé cette fois. Qui a écrit ces chiffres ensuite biffés ? Rimbaud ? Ou l'équipe Fénéon ? Le problème se double d'un autre, puisque, si le pluriel convient pour un poème, l'autre aurait mérité le singulier ("L'acropole officiel...").
En tout cas, s'il s'agit d'une initiative de l'équipe Fénéon, c'est que ceux qui la composaient ne tenaient pas à suivre même les cas de défilement des poèmes imposés par les continuités de la transcription, soit il s'agit d'une initiative de Rimbaud et dans ce cas vole en éclats encore une fois l'idée que l'ordre des poèmes était celui d'un recueil, puisque ces chiffres indiquent une autre pensée. Certes, ces chiffres ont été biffés, mais ils posent problème. S'ils sont de Rimbaud, cela nous oblige à considérer que les copies au propre ont été chaotiques et n'ont pas respecté une intention première d'ordre de défilement des poésies en prose.
Je ne voudrais pas répondre sans avoir mûrement réfléchi. Il y a d'autres problèmes. En opposant deux types d'écriture et trois tailles d'écriture, Guyaux, que suit quelque peu Bardel ici, invite à penser que "Conte" et "Royauté" ont été ajoutés tardivement pour profiter de la place qui restait disponible pour transcrire des poèmes. C'est une butée importante pour la réflexion sur l'existence ou non d'une structure de recueil.
Les conclusions sont assez claires. Le recueil structuré est une légende. C'est impossible d'affirmer que le recueil existe avec autant de lacunes. La preuve, Murphy, Bardel et Guyaux se trompent tous en clôturant ce recueil de force par "Solde" ! Quelle preuve plus éloquente que cette quête de l'ordre absolu des poèmes relève de convictions et désirs arbitraires.

Répondons rapidement pour les "filets de séparation". Dans sa réponse, Bardel en profite surtout pour épingler l'évolution de Guyaux depuis 1985, puisqu'en 2009 il semble en effet céder sur tous les points favorables à l'idée d'un recueil organisé, y compris sur celui de la pagination. Moi, je ne cède pas sur le problème de la pagination : elle n'est pas de Rimbaud. Le reste, on peut en convenir, mais ça n'a rien de décisif de toute façon. Enfin, quant à cette question des filets de séparation, non ils n'ont aucun sens particulier. Ils servent juste à séparer des poèmes entre eux, ce qui peut impliquer le bas d'un feuillet manuscrit, car on peut toujours se demander si un nouvel alinéa n'est pas reporté sur un autre feuillet. Bardel reprend une observation de Murphy selon laquelle ces filets concernent essentiellement les manuscrits divers par opposition à la suite des 23 feuillets paginés.
Je considère que je vais rendre compte de tout ça dans un article mien désormais. Là, j'en ai fini pour ma recension. Je constate juste que Bardel ne tranche pas avec assurance sur la signification de ces "filets de séparation". Il n'en fait rien et son tableau ne fait qu'opérer des découpages farfelus en sous-groupes. Je donne ces sous-groupes en les séparant d'autant de barres obliques que nécessaire.

Après le Déluge / Enfance / Conte Parade Antique Being Beautous / Vies ./ Départ Royauté / A une Raison Matinée d'ivresse Phrases Ouvriers Les Ponts Ville Ornières / Villes Vagabonds Villes Veillées / Mystique Aube Fleurs Nocturne vulgaire / Marine Fête d'hiver / Angoisse / Métropolitain Barbare / Promontoire Scènes Soir historique / Mouvement Bottom H Dévotion Démocratie / Fairy / Guerre / Génie / Jeunesse / Solde.

L'absurdité des recoupements saute aux yeux. De quel droit rassembler "Conte", "Parade", "Antique" et "Being Beauteous" ? Nous avons vu que ce sont trois ensembles distincts. Bardel se le permet sur la foi de la pagination qu'il considère rimbaldienne, mais outre qu'il se trompe lourdement même dans un tel cas de figure il ferait étrangement fi des passages d'un feuillet à un autre. On observe d'ailleurs qu'il ne distingue par le poème sans titre "Ô la face cendrée" alors que comme démarcation les trois "astérisques" sont éloquents.
Il isole "Départ" et "Royauté" en se fiant à la présence d'un filet de démarcation, mais j'ai plutôt l'impression que tout s'explique par le fait de rajouter tardivement des transcriptions sur la place restante, ce problème concernant également "Conte" à la suite de "Enfance". Bref, je me garderais d'aller vite en besogne au sujet de ces "filets".
On voit que Bardel impose la série des trois "Veillées" ou bien une série "Phrases" incluant les cinq poèmes brefs sans titre. Quelque part, c'est comme si l'étude ne servait à rien, puisque, par la force des choses, Bardel impose la conclusion que le recueil est bien édité et que c'est ça qui doit faire consensus. On semble réfléchir beaucoup, mais pour aucun autre gain que de retourner à la conviction qu'on ne s'est pas trompés.
J'observe aussi l'inclusion de "Dévotion" et "Démocratie" dans une série alors que les manuscrits de ces deux poèmes ne nous sont pas parvenus. On observe surtout que Bardel est indifférent à la question des manuscrits non paginés. C'est quand même farce ! Alors qu'il défend avec acharnement à la suite de Murphy l'importance de la pagination pour prouver l'ordre d'une partie du recueil, il s'en dispense allègrement pour le reste des manuscrits. Il suffit de considérer que l'ordre dans lequel cela a été publié était bien celui voulu par Rimbaud (sorte de pensée magique) pour considérer des suites telles que celle-ci : Mouvement Bottom H Dévotion Démocratie, ou bien celle-ci : Promontoire Scènes Soir historique.
Je ne parle même pas de séries passant au milieu du feuillet au recto et verso paginés 21 et 12, ce qui sépare Nocturne vulgaire de Marine et Fête d'hiver.
Enfin, on a droit à un émiettement final. Tout ça n'est pas sérieux.
Arrêtons-là.

Juste une note avant de refermer définitivement mon étude : je considère que Rimbaud a exploité la notion de "fragments" pour l'appliquer à ses "poèmes en prose" à partir de sa lecture de Baudelaire, mais je ne suivrai pas Guyaux sur deux idées : 1) celle d'une tendance rimbadienne à la fragmentation qui aurait empêché le recueil de se constituer, 2) celle d'une réelle esthétique du fragment dans la composition des poèmes en prose.
Je crois que la notion de "fragments" est ironique, une sorte de subtilité pour désigner la poésie en prose par opposition à la forme des poèmes en vers, par opposition surtout aux formes fixes comme le sonnet. Ce n'est rien que par jeu en ce sens-là que Rimbaud et même Baudelaire parlent de "fragments". Je ne crois pas au potentiel théorique de ce mot. Enfin, je me contente donc de constater qu'il n'y a pas de recueil structuré, mais qu'il aurait pu y en avoir un.

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