dimanche 22 avril 2018

Compte rendu de la "FAQ" des ' Illuminations ' d'Alain Bardel (avant-dernière partie)

Nous avons vu dans les précédentes parties que Bardel s'est fait le soldat d'un consensus éditorial, mais qu'il le défendait péremptoirement et non pas sur la base d'une argumentation contraignante. Son affirmation selon laquelle les vers devaient être exclus du recueil de "poèmes en prose" ne s'appuie que sur une suite d'hypothèses : les dossiers de manuscrits n'auraient pas la même provenance, se seraient mélangés, les "vers" viendraient de la mère de Verlaine, etc., etc. Ces affirmations ne s'appuient sur rien. Bientôt un futur livre pour nous expliquer que c'est peut-être la mère de Verlaine qui a écrit les poèmes irréguliers de 1872 ! Il faut bien préciser que personne ne s'est demandé comment des manuscrits de Rimbaud étaient parvenus entre les mains de Charles de Sivry en 1878. Encore une fois, on élabore des hypothèses sommaires à partir de nos faibles connaissances. Verlaine a envoyé les "poèmes en prose" à Nouveau en 1875, donc, si Charles de Sivry récupère des manuscrits en 1878, c'est que Nouveau les lui a confiés. Ce n'est pas rigoureux comme démarche. S'agit-il du même ensemble de manuscrits ? Nouveau n'a-t-il pas remis les manuscrits envoyés par Verlaine à Rimbaud, directement ou indirectement ? Pourquoi ces remerciements à Cabaner englobant une allusion aux "illuminécheunes" dans une lettre de Verlaine en 1878 ? Toutes ces questions-là, les rimbaldiens s'en moquent. Interdiction de penser que Rimbaud ait remis les manuscrits à Cabaner qui les aurait transmis à Charles de Sivry.
Pourtant, il y a plein d'éléments en ce sens. Cabaner fut un ami de Rimbaud et une importante connaissance des contacts parisiens de Nouveau. Il connaît bien évidemment Charles de Sivry, les deux ayant contribué, fût-ce minimalement, à l'Album zutique. Charles de Sivry restait quelque peu zutique, il écrivait dans Le Chat noir dans les années 1880, tandis que Cabaner n'était que zutique. Cabaner était un familier du salon de Nina de Villard, etc. Cabaner était musicien comme Sivry, et il était une figure assez populaire qui eut droit à une notice posthume de Zola et un portrait de Manet un an avant sa mort. Cabaner admirait Rimbaud, il en est question dans l'Album zutique, mais aussi avec le manuscrit du "Sonnet des sept nombres". Cabaner voulait mettre en musique des poèmes de Rimbaud. Enfin, Cabaner est mort en 1881, peu avant l'initiative des Poètes maudits, et cela pourrait expliquer l'attitude étrange de Charles de Sivry qui n'a pas hésité en 1878 à prêter les manuscrits à Verlaine, puis prétendra les avoir égarés au moment des Poètes maudits. Verlaine va finir par se dire le dépositaire des manuscrits de Rimbaud. Et si le décès de Cabaner avait quelque chose à voir avec cette évolution étrange ? Ceci est de l'ordre de l'hypothèse, mais ce qui ne l'est pas, c'est la lettre de 1878 où Verlaine associe les "illuminécheunes" au nom de Cabaner.
Enfin, le noeud de l'énigme, c'est ce qu'a pu récupérer Charles de Sivry en 1878, même s'il est vrai que d'autres témoignages de Verlaine et d'autres indices invitent à des recoupements avec Stuttgart en 1875.
L'exclusion des vers est arbitraire.
Pour le titre, on peut bien rajouter l'article et écrire Les Illuminations, ce que conseille Bardel sans l'appliquer pour autant.
Pour le fait de faire figurer les poèmes en prose après Une saison en enfer, cela relève d'un parti pris de lecture. Bardel défend sur ce sujet une position hypocrite classique : admettre que les poèmes en prose peuvent avoir été écrits avant, pendant et après Une saison en enfer, du moment qu'on soit plus porté à les considérer comme ayant été écrits après. J'ai montré que ce préjugé ne tenait pas la route. Cela ne demande aucun statut d'expert. La section "Adieu" est en contradiction patente avec le discours tenu dans la plupart des poèmes en prose, et en particulier les plus beaux et les plus souvent mentionnés pour célébrer la pensée de Rimbaud : "Aube", "Being Beauteous", "A une Raison", "Barbare", "Génie", "Guerre", "Matinée d'ivresse". Dans cette position, l'hypocrisie confine à une cécité volontaire, car on nous oblige à prouver que "Génie" est en contradiction avec Une saison en enfer, car c'est une évidence immédiate à la simple lecture. C'est comme si nous étions sommés de prouver que 2+2=4. C'est uniquement ça la pression qui est mise. Cette hypocrisie s'accompagne d'une autre. Les poèmes en prose formeraient un projet à part. J'ai exploité le poème de bilan par excellence qui réduit cette fable à néant, celle selon laquelle il n'y a jamais rien des poèmes en prose dans Une saison en enfer. Ce discours a souvent été tenu par les rimbaldiens, ils le tiennent moins parce que certains ont repéré que j'avais mis en avant que des passages en prose d'Une saison en enfer entraient en résonance avec "Conte", "Vies", etc., voire parlaient de la même chose. A chaque fois, les rimbaldiens retirent leurs billes progressivement, bien discrètement. J'avais sorti cet argument en particulier : pour exclure une datation relative d'Une saison en enfer et des poèmes en prose les rimbaldiens excluent les rapprochements textuels entre les deux oeuvres, ce qui est absurde, puisque, non seulement ces rapprochements sont faciles et nombreux à faire, mais puisque ces rapprochements peuvent se faire indépendamment même de la question de la datation. Evidemment, cette séparation est aggravée par le fait que la majorité des rimbaldiens pensent que les poèmes en prose ne parlent que de rêves. C'est un peu le principe du structuralisme, celui d'un écrit fermé sur lui-même. Cérébralement, il faut quand même être un peu atteint pour lire "J'ai embrassé l'aube d'été", et se dire "Oh ! Rimbaud a créé une aube d'été qu'on peut embrasser", pour lire "Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins" et se dire : "Mais quel est ce mystère, cette messe très étrange ?" En tout cas, moi, si je me pose de telles questions, c'est forcément avec un recul critique. Les mots sont sur le papier, et ils ne sauraient m'intéresser qu'en me permettant des considérations sur la "vraie vie", mais pas une grande "absente" que les mots arriveraient on ne sait comment à capter.
Enfin, bref. "Vies" et le problème de l'inclusion ou non des vers de 1872 donnent des arguments à une publication des Illuminations avant Une saison en enfer.
Pour la pagination, l'article de Bardel est tendancieux, puisqu'il ne rend pas compte de tous les arguments, de tous les travaux sur le sujet. Dans son édition révisée de L'Art de Rimbaud en 2013, Murat considère comme une "pétition de principe" la réfutation de Jacques Bienvenu sur le blog Rimbaud ivre en 2012, en ne donnant le lien que pour la première partie de l'article, pas le lien pour la seconde partie décisive. Or, c'est la fin de non-recevoir qui est une pétition de principe, puisque cet article établit clairement, prouve que la pagination n'est pas le fait de Rimbaud. Comment se fait-il que le débat puisse se situer au-dessus des arguments ? Bardel se prétend scrupuleux, mais on attend de voir l'évolution de sa page de "FAQ", parce que tous ceux qui liront ce que j'écris ici verront l'étendue des omissions derrière lesquelles s'abritent ses conclusions. Tout le monde verra que c'est une vitrine partisane, alors même qu'il prétend à l'objectivité et à la neutralité de l'ancien enseignant épris de vérité, alors même qu'il prétend s'intéresser sans passion malsaine ou excitée au sujet.
Passons aux dernières questions.

"4) Peut-on définir les Illuminations comme un 'recueil' au sens d'un ensemble structuré ?"
"6) Les Illuminations ont-elles une idée principale ?"
"7) Les 'filets de séparation' visibles sur le manuscrit (et dans l'édition de la Pléiade d'André Guyaux) sont-ils porteurs de sens ?"
La question 6) pose un petit problème. Elle est annexée à une grande réflexion sur l'unité d'un recueil, mais quelque part ce n'est pas le même sujet. Il s'agit plutôt d'une question sur le problème de lisibilité des poèmes en prose. Elles pourraient être une question sur le problème de conception du recueil, mais l'hermétisme de la poésie rimbaldienne fait que la question n'est pas vraiment à sa place. Comment en prendre la bonne mesure sans une grande analyse poème par poème ?
Cette question est tirée d'une affirmation trompeuse de Verlaine. C'est lui qui disait ne pas trouver d'idée principale à l'ouvrage. Personnellement, je comprends cela en effet au plan du recueil. Il n'y a pas dans ces poèmes en prose une ligne directrice sensible pour dégager une perspective cohérente de recueil. Mais ce n'est pas du tout sur ce plan-là que Bardel répond en citant abondamment le travail de Murat dans L'Art de Rimbaud. Et là, moi, ça me fait un peu bizarre, puisque les poèmes en prose sont ceux d'une seule personne en une assez brève période de sa vie dans tous les cas, du coup, j'ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi il faudrait sentir comme des révélations le dégagement de séries, les échos, les recoupements entre poèmes, les ralliements thématiques, etc., d'autant plus qu'on n'atteint pas l'unité, mais qu'on dégage de grands ensembles. Je ne vois pas où ça conduit. C'est une évidence qu'on peut opérer des recoupements. En plus, certaines affirmations sont hâtives : "Enfance" et "Jeunesse" deviennent des productions "autobiographiques". Pourquoi ne pas leur adjoindre "Vies" ? En quoi ces deux poèmes sont-ils par ailleurs autobiographiques ?
Je traiterai moi-même des poèmes en prose pris en masse. Il me suffit de faire remarquer ici que la réponse à la sixième question ne répond à rien du tout, c'est un ensemble suggestif pour d'autres enjeux de la recherche rimbaldienne, voilà tout.
En revanche, je cite un passage que je ne peux pas laisser passer :

Ce f°7 est thématiquement si homogène qu'André Guyaux, ennemi depuis toujours de considérer O la face cendrée... comme une continuation de Being Beauteous, suggère, à la page 954, de la nouvelle Pléiade, de considérer ce fragment comme un "appendice aux deux poèmes précédents ou un poème autonome évoquant lui aussi un corps convoité et appelé."
Deux plans se croisent dans cette citation. L'essentiel ici serait de démontrer l'unité thématique d'un feuillet, mais au passage Bardel fait une allusion à un autre problème. Y a-t-il un ou deux poèmes sur le feuillet ? Guyaux estime avec la plupart des lecteurs et éditeurs qu'il n'y en a qu'un, mais Murphy et visiblement Bardel pensent comme d'autres éditeurs plus anciens qu'il n'y en a qu'un seul. C'est la mention "ennemi" et la structure concessive de l'énoncé qui nous font comprendre cela par inférence.
Or, il y a deux éléments qui montrent que ce sont deux poèmes distincts. Le premier, c'est que les titres sur les manuscrits sont flanqués d'un point, à l'évidence de la part de l'équipe Fénéon qui devait guider le travail des ouvrières-typographes pour la confection en majuscules, la mise en page, etc. Bizarrement, dans l'édition de la Pléiade, Guyaux a reporté le point pour les trois astérisques qui précèdent le poème "Ô la face cendrée...", alors qu'il ne l'a pas fait pour "Being Beauteous", ni pour "Génie", "Aube", etc. Je suis contre la présence de ce point, d'autant plus que les astérisques ne sont même pas un titre à part entière, mais un procédé de démarcation, ici entre deux textes. En outre, la preuve est relative, puisqu'elle est le fait de l'équipe Fénéon et non de Rimbaud même. Ceci dit, elle nous informe sur la manière de percevoir ces astérisques à l'époque, perception qui dans mon cas n'a pas changé.
Il y a une deuxième preuve que j'ai déjà publiée et que je vais reconduire ici. Je vais donc donner une transcription rapide de "Being Beauteous" et de "O la face cendrée...", mais je vais souligner les reprises dans "Being Beauteous", ce qui permettra aux lecteurs de voir à l’œil nu que nous avons bien affaire à deux poèmes distincts et que Guyaux a parfaitement raison d'être l'ennemi de la confusion en un de ces deux textes.

                                               Being Beauteous
    Devant une neige un Être de Beauté de haute taille. Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s'élargir et trembler comme un spectre ce corps adoré ; des blessures écarlates et noires éclatent dans les chairs superbes. Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent et se dégagent autour de la Vision, sur le chantier. Et les frissons s'élèvent et grondent et la saveur forcenée de ces effets se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté, - elle recule, elle se dresse. Oh ! nos os sont revêtus d'un nouveau corps amoureux.
                                                           ***
    Ô la face cendrée, l'écusson de crin, les bras de cristal ! le canon sur lequel je dois m'abattre à travers la mêlée des arbres et de l'air léger !  

J'ai souligné en rouge des couples qui structurent de manière décisive l'unique paragraphe constitutif de "Being Beauteous" : Être de Beauté - mère de beauté, corps adoré - nouveau corps amoureux, sifflements de morts / musiques sourdes - sifflements mortels / rauques musiques. J'ai utilisé le soulignement pour d'autres recoupements intéressants. J'aurais pu me dispenser de souligner le lien entre "écarlates" et "éclatent", mais certainement pas l'opposition "devant" et "derrière", ni le couple "vie" et "Vision", ni le déploiement de "haute taille" à "elle se dresse". Enfin, j'ai souligné en bleu un aspect capital de la transformation, l'emploi de la première personne du pluriel pour un pronom personnel "nous", puis deux déterminants possessifs "notre" et "nos". L'analyse de la finesse syntaxique du texte à cet égard pourrait aller très loin. Il y avait "un Ëtre", il était désigné à l'horizon "ce corps adoré". Face à une agression répétée du monde, voilà que l'être désigné devient quelque chose pour ce "nous" qui s'est extirpé du "monde", devient "notre mère de beauté" qui recouvre "nos os", mais voilà que revient l'article indéfini, sauf que cette fois il crée à la manière du titre du poème "A une Raison" une unité revendiquée : "sont revêtus d'un nouveau corps amoureux", et au-delà de l'allusion à saint Paul "revêtir l'Homme Nouveau", il y a de part et d'autre du mot "corps" deux adjectifs qui confirment le lien avec "A une Raison" : "nouveau corps amoureux" reprend "nouvel amour", un syntagme qui, au passage, demande une enquête du côté de Fourier, mais ce ne sera pas le sujet ici.
Dans la phrase isolée, Rimbaud ne joue plus sur les reprises de mots, il en aligne de neufs : "face", "cendrée", "écusson", "crin", "bras", "cristal", "canon" "m'abattre", "à travers", "mêlée", "arbres", "air", "léger". Je ne pense pas me tromper, avoir une distraction passagère. Les mots ne sont pas les mêmes dans les deux textes. Surtout, le possessif qui joue un rôle essentiel pour signifier la transformation dans le premier texte disparaît complètement du second texte.
La conclusion va de soi, il s'agit bien de deux poèmes distincts. Il n'y a ensuite aucune concession dangereuse si nous admettons que les deux poèmes, comme "Antique" sur le f°6 précédent, sont des poèmes célébrant un être désiré. Cela peut implique bien d'autres poèmes de l'ensemble, pas seulement "A une Raison" dont nous avons parlé. Mais dire que cela prouve l'unité du recueil ou que cela permet de dégager l'idée principale du recueil, c'est un peu court.
Surtout, Bardel fait du rapprochement des deux textes sur le même feuillet un témoignage fort d'un ordre de défilement des poèmes. Mais en quoi est-il étonnant que Rimbaud ait privilégié sur un même feuillet le rapprochement de deux textes, comment dire ? de même nature, un peu similaires, etc.
Un autre aspect de la réponse à la question 6) appelle un commentaire immédiat. Bardel ne cesse de rapprocher le texte des poèmes en prose du discours du "voyant" dans la lettre à Demeny du 15 mai 1871 et à propos de "Génie" il parle d'une "relance à l'infini de l'espérance utopique". Les rapprochements avec les lettres dites "du voyant", ils sont fondés, mais comment Bardel fait-il pour concilier une telle analyse des poèmes en prose avec l'autocritique du livre Une saison en enfer que, si je ne m'abuse, il met aussi en lien avec les lettres dites "du voyant" dans d'autres de ses travaux ? En effet, le "dérèglement de tous les sens" est un travail pour celui qui "connaît chaque fils de famille", pour celui qui, dès lors, prétend que le monde a rejoué une même "comédie" étriquée avec les mêmes "drames", les mêmes "triomphes", les mêmes "fêtes", pour celui qui considère que les peintres sans imagination n'ont pas eu accès à "tous les paysages possibles". Il est bien question d'accéder à un savoir dans la lettre du 15 mai 1871. Bardel nous soutient en toutes lettres que Rimbaud n'a tenu aucun compte de la leçon d'Une saison en enfer pour écrire ses poèmes en prose, et il n'est pas le seul à le faire ainsi inconsciemment, loin de là.
La difficulté est quelque peu envisagée, mais on va apprécier la solution apportée. Bardel confronte tout simplement les lectures de "Solde" et "Génie" comme l'expression du Ying et du Yang de la poésie rimbaldienne. Si "Génie" est la "relance à l'infini de l'espérance utopique", "Solde" serait "le renoncement à cette chimère sans avenir qu'est le commerce de l'Idéal dans une société prosaïque et hostile."
Mais, en établissant un tel système d'affrontement entre deux poèmes, Bardel fait passer le plus beau des deux "Génie" pour une vanité de toute façon. "Génie" surclasse de très, très loin le poème "Solde". Or, dans cette opposition, "Génie" sort complètement anéanti dans tous les cas. Pire, Rimbaud n'aurait écrit "Génie" que pour faire contrepoids à "Solde", un poème moins important et moins réussi, surtout dans l'optique de Bardel un poème de renoncement à la poésie même.
Mais cette lecture de "Solde" tient-elle la route ?
Dans "Solde", Rimbaud ne met pas en vente, il parle de ce que font des "vendeurs". Et cette répétition "A vendre" qui sert d'anaphore lançant un grand nombre d'alinéas du poème, elle est ironique, bien évidemment.
En classe de sixième, on apprend encore aujourd'hui les trois modes verbaux de l'injonction. On peut leur demander de faire une recette de cuisine en passant de l'impératif à l'infinitif ou de l'infinitif à l'impératif, puis on leur enseigne l'emploi du subjonctif dans la Bible : "Que la lumière soit !"
Ecrire "A vendre", c'est comme écrire "Vendez" ! En tout cas, moi, c'est comme ça que je le comprends quand je lis "Solde". J'ai toujours lu ainsi ce texte, ça m'est spontané ! Visiblement, la quasi-totalité des rimbaldiens semble lire ainsi : "Moi je dis que c'est à vendre, qu'il faut vendre,..."
Ensuite, je n'identifie pas la mise en vente de la poétique rimbaldienne dans "Solde". J'identifie des objectifs métaphysiques qui peuvent être ceux du "voyant" comme de toute société désireuse d'un monde autre, mais je n'identifie pas la poétique du voyant.
Je lis "Solde" comme la dénonciation d'une arnaque au sujet des aspirations "sans prix" des êtres humains.

Cette réponse à la sixième question a pris une certaine étendue. Je suis donc obligé de reporter à une autre fois la réponse aux deux dernières questions. Je me débrouillerai pour faire bref sur celle au sujet des filets de séparation. A suivre donc une dernière partie.

7 commentaires:

  1. Bonjour !
    pour la lettre de Verlaine à Sivry du 27 octobre 1878, ce ne sont pas des remerciements mais ses "amitiés" qu'il fait passer à Cabaner. Les deux points après ce nom annoncent "ses musiques" (celles de Cabaner), puis les "eaux fortes" (celles d'Antoine Cros, dont Verlaine reparle dans une lettre suivante et qui sont à coup sûr en possession de Sivry) et des "chinoiseries" qu'il veut récupérer auprès de Sivry, comme les "Illuminécheunes" qui apparaissent entre parenthèses, sous forme d'ajout, le "donc" suivi du point d'exclamation se référant à la répétition impatiente de cette demande. Verlaine veut donc je pense se faire envoyer poste restante "per postas payantes papa" (fin de phrase très importante) des partitions (sans doute) de Cabaner qui sont chez Sivry ou chez les Mauté (selon M. Pakenham, Sivry avait publié des musiques de Cabaner), en même temps que les eaux-fortes de Cros, des "chinoiseries" (estampes ?)... et les manuscrits de Rimbaud. Selon moi, la trajectoire c'est : Verlaine-Nouveau-Verlaine-Sivry puis les gens de La Vogue. Pour ce qui est de Rimbaud qui voulait que Cabaner mette ses poèmes en musique, on ne le tient si je ne me trompe que de Berrichon en 1912, et il parle de "chansons" de Comédie de la Soif, snas donner davantage de sources... à bientôt !

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    1. Pour le témoignage de Berrichon, on peut comme souvent rester défiant. Ceci dit, si les "chansons" sont des poèmes de 72 d'un dossier conjuguant vers et proses ? Ensuite, pour la trajectoire Verlaine-Nouveau-Verlaine-Sivry, vous dites "selon moi", c'est donc une opinion, mais sur quoi s'appuie-t-elle ? Verlaine avait envoyé des proses à Nouveau, elles lui reviennent comme ça trois ans après, je n'y crois pas. De surcroît, pourquoi Verlaine irait prêté les "illuminécheunes" à quelqu'un qui n'aimait pas Rimbaud, qui était le demi-frère de Mathilde et qui a en effet posé des problèmes pour renvoyer les manuscrits ? Enfin, voici le passage en question tel qu'édité par Pakenham. C'est un paragraphe pour dire ses "amitiés à Cabaner", mais dans ma perception le double point vaut comme reconnaissance à Cabaner pour tous les trucs à récupérer et les "illuminécheunes" font partie des "chinoiseries ou "japonismes" de l'ensemble. Certes, le "per postas payante 'papa' " n'implique pas la bourse de Cabaner.

      Amitiés à Cabaner : ses musiques, les eaux-fortes, un tas de chinoiseries (pardon, japonismes, et les illuminécheunes, donc !) per postas payante "papa".
      Les eaux-fortes d'Antoine Cros (lettre de Sivry du 3 9bre 78) ne font pas partie apparemment des affaires laissées par Verlaine chez les Mauté en 1872, et Cros est une connaissance liée au zutisme et à Cabaner, pas à Nouveau (note 24 de Pakenham peu claire du coup). Pour les "japonismes", Pakenham propose une autre note peu claire, mais un renvoi à une lettre de Verlaine à Sivry de Noël 71 où il est question des "doigtpartistes", du zutisme donc, de Pelletan, Valade et de "japonaiseries" non identifiées, mais sans doute un jeu, éventuellement leste, entre amis de 1871.

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    2. J'améliore ma citation telle qu'éditée par Pakenham, en incluant les quatre notes.

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      Amitiés à Cabaner[23] : ses musiques, les eaux-fortes[24], un tas de chinoiseries (pardon, japonismes[25], et les illuminécheunes, donc !) per postas payante "papa[26]".
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      Première remarque. La ponctuation m'invite à considérer que les "amitiés" sont une reconnaissance pour les musiques, mais aussi pour les eaux-fortes et les chinoiseries. La parenthèse ne peut pas être assimilée à une maladresse, elle inclut bien "et les illuminécheunes, donc!" Je ne vois pas au nom de quoi on pourrait lire "Amitiés à Cabaner" car tu m'envoies "ses musiques", ainsi que des trucs non liés à Cabaner. La ponctuation m'a l'air imparable. Je comprends comme vous (pluriel ici) lisez : "Amitiés à Cabaner !" Donc "ses musiques, les eaux-fortes, un tas de chinoiseries" tu m'envoies tout ça. Mais, les notes de Pakenham sont sacrément problématiques.
      [23] Sur Cabaner, voir 71-7, n.7. [+ publication en 78 de chansons]. Note sans intérêt.
      [24] [V]erlaine espérait [] récupérer quelques-uns de ses affaire [] chez les Mauté []. Voir lettre suivante. Note faiblarde, renvoi à la lettre de Sivry "Dimanche 3 9bre 78" où Sivry parle plutôt du risque d'embêter maître Leleu avec les eaux-fortes.
      [25] Voir 71-16, n.15. Note traitée dans ma réponse précédente, toujours 71.
      [26] [] Verlaine a rendu le manuscrit des ILL [] il le lui redemande [déjà]. Il l'attendait toujours en 1881 [...]

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    3. Donc, notes 23 et 26 utiles pour des gens qui ne connaissent pas à fond le sujet, mais inutiles pour moi. La note 24 est hypothétique, peu développée. La note 25 renvoie à une lettre de 1871 pour éclairer le sens de "chinoiseries" et "japonismes". On tombe alors sur "japonaiseries". "Japonismes" doit être le terme érudit véhiculé par Burty, "japonaiseries" est surdéterminé par l'écho "niaiseries" et se rapproche de "chinoiseries".
      Pour les "belles japonaiseries", il faut citer et la lettre de Verlaine à Sivry en Noël 71 et la note de Pakenham : "tu ferais une joie énorme à ce 'prêtre' en lui écrivant une lettre bien bondée de belles japonaiseries. Je lui ai d'ailleurs annoncé ta morue qu'il attend avec impatience : [dessin obscène en fac-similé pour dire la joie que procure la "morue" femme de mauvaise vie]. En note 10, Pakenham précise "Peut-être des dessins érotiques inspirés par des estampes japonaises car Verlaine possédait trois ou quatre dessins coquins de son ami Bretagne [...]".
      Tout cela n'est pas limpide, et Pakenham admet lui-même émettre une hypothèse sur l'érotisme des "japonaiseries", tandis que le lien aux "japonismes" et "chinoiseries" n'est même pas certain.

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  2. vous écrivez : "Je comprends comme vous (pluriel ici) lisez : "Amitiés à Cabaner !" Donc "ses musiques, les eaux-fortes, un tas de chinoiseries" tu m'envoies tout ça." . je suis d'accord avec cette lecture, Verlaine fait comme souvent une ellipse, ici d"envoie-moi" (ses musiques, etc, et les illuminécheunes, donc !). Pourquoi, si Sivry venait de les récupérer auprès de Cabaner le 28 octobre, Verlaine lui écrirait-il cinq jours plus tard seulement, le 3 novembre : "si tu en as fini avec les Ill"? Que pourrait-bien en avoir fait Sivry en une semaine à peine ?
    En ce qui concerne les "trois ans", Nouveau et Verlaine se voient à Londres vers le 15 mai 75 après avoir beaucoup correspondu. Peut-être est-ce à ce moment, plus logique, plus proche de Stuttgart, qu'un échange des manuscrits a lieu. Ce qui expliquerait que jamais ces manusses n'apparaissent dans la correspondance de Nouveau en 76 ni 77... que de mystères ! Merci de vos réponses !

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    1. L'ellipse, il y en a forcément une, vu le "per postas...", mais le double point introduit normalement une explication, une énumération lié à un premier énoncé, etc., etc. C'est l'usage du double point qui est anormal. Cela reste possible, je le concède à cause d'une hâte dans l'écriture bien sensible chez Verlaine ici, l'ellipse irait de pair...
      les "illuminécheunes" ne sont pas sur le même plan que les musiques, mais un sous-groupe des "chinoiseries", autre signe d'une écriture hâtive, ou autre étrangeté.
      Ensuite, vous me faites dire ce que je n'ai pas dit. Je n'ai jamais dit que Sivry venait de récupérer les Ill. auprès de Cabaner 5 jours plus tôt. Vers le [16 août 1878] Verlaine a écrit( d'Arras à Sivry en parlant pour la première de sa lecture des ILL, il écrit juste avant "T'enverrai très-bientôt beaux Fragments", et surtout "Te le reporterai vers 8bre. Dangereux par les postes." Sivry semble alors chercher (pour lui-même ?) des vers d'antan de R.
      Le "Avoir relu" ne colle pas avec l'idée d'un échange le 15 mai 75 et le silence de Verlaine dans sa correspondance en 76 et 77 pose problème, plus que celui de Nouveau.

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    2. Pour clarifier un point du message précédent, je ne suis pas spécialiste de la correspondance de Verlaine en 78, ni de Nouveau, et la lecture majoritaire sur le passage en question est la vôtre visiblement. Vous pourriez avoir raison sur certains points, mais il y a un truc qui ne passe pas. C'est cette commodité qui fait dire que Verlaine a envoyé en se plaignant du coût des proses à Nouveau et qu'il les aurait récupérées à deux mois d'intervalle (envoi après Stuttgart vers début mars, récupération le 15 mai), envoi de France en Belgique je suppose, rencontre en Angleterre ensuite. Un envoi d'Angleterre ce serait rigolo de dépenses inutiles. Le premier mai, Verlaine parle de cet envoi, 14 jours avant une rencontre avec Nouveau. Mais Nouveau viendrait-il à Londres avec les manuscrits de Rimbaud sous le bras ? En tout cas, Verlaine n'en a jamais parlé de cette récupération londonienne. Ensuite, dire en 78 "Avoir relu", ça veut dire que ça faisait un bail. Et, tout d'un coup, il enverrait ces manuscrits inédits à Sivry, il est vrai dans une période de noeuds familiaux et potaches renforcés, avec hantise des postes, etc. Comme ça, sur un coup de tête. Il les aurait envoyés à deux reprises ("Te le reporterai vers 8bre"). Je suis désolé, mais tout ça est incompréhensible pour moi si Sivry n'a joué aucun rôle dans cette récupération de manuscrits.

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