mardi 6 février 2018

Mise au point sur l'établissement du texte des poésies d'André Chénier

J'ai mis en ligne une réponse de Licorne et Reboudin à ma première partie d'article sur le vers de Chénier, puis j'y ai répondu, avant de me rendre compte qu'il m'avait demandé de supprimer ce message.
Le message de Licorne et Rebourdin contenait pourtant des éléments importants.
L'édition de référence est celle de Georges Buisson et Edouard Guitton (Paradigme, 2005). Il me semble toutefois qu'elle est en deux tomes, le second étant sorti après 2005. Je ne possède pas cette édition, je ne l'ai jamais possédée. Je sais seulement qu'elle fut retenue pour le concours de l'agrégation à peu près au moment de sa publication. En revanche, en 2018, c'est l'édition fac-similaire de Becq de Fouquières qui a été reprise par l'organisation du concours, ce qui scandalise quelque peu les universitaires, dans la mesure où l'édition n'est pas fiable, est largement dépassée, quand le concours prétend vérifier la formation de maîtres aux connaissances solides. Ce qui peut rassurer les personnes qui tentent le concours cette année, c'est que, pour la dissertation sur une oeuvre française, cela leur fait au moins deux oeuvres en moins à préparer. L'oeuvre du Moyen Âge ne tombe jamais sauf prestige accordé à un texte comme La Chanson de Roland il y a quelques années, et l'édition retenue pour Chénier a de graves défauts de conceptions, sachant déjà qu'il n'est pas toujours évident de disserter sur un livre de poésies. Candidat au concours, si tu me lis, envoie-moi un chèque de cinquante euros.
Trêve de plaisanteries.

La réponse de Licorne et Reboudin contenait aussi un lien que je reconduis ici. En effet, vu que l'édition fac-similaire dans la collection "Poésie/Gallimard" a été mise au concours, en octobre 2017, Catherine Volpilhac-Auger et Aurélia Gaillard ont publié une liste de corrections ou indications d'erreurs sur le site Fabulacliquer ici pour consulter le lien ).

J'ignorais ce lien et je vais effectuer une mise au point ici, car je n'ai pas la possibilité de travailler dans l'immédiat sur l'édition de 2005. Je vis dans une ville à la campagne, tandis que l'université de Toulouse le Mirail (eh oui, ça s'écrit sans trait d'union, malgré certains usages éditoriaux) est en grève. Ensuite, le poème "Le Jeu de paume" ne figure peut-être pas dans le tome I de 2005 des poésies d'André Chénier éditées par Buisson et Guitton.
Pour ce qui concerne "Le Jeu de paume", Volpihac-Auger et Gaillard offrent à leur tour vers le site Gallica pour consulter directement le fac-similé de la plaquette originale de 1791 ( cliquer ici pour consulter le document ).

Elles proposent également un lien pour consulter la version originale de l'autre poème publié du vivant d'André Chénier, "Hymne aux Suisses de Châteauvieux", dont le titre véritable est "Hymne". Le poème a été publié dans le Journal de Paris le 15 avril 1792, et le lien nous conduit à une édition fac-similaire suivie de numéros de ce journal ( cliquer ici pour le lien et faites défiler jusqu'à la page 429 si nécessaire ).
 
Becq de Fouquières n'était censé pour ces deux textes que reproduire fidèlement l'état imprimé, ce qu'il n'a pas fait correctement. Or, Becq de Fouquières a travaillé pour l'essentiel à partir des manuscrits et là encore il n'a pas toujours respecté scrupuleusement la lettre des écrits. Il a même mélangé certains manuscrits entre eux. Partant, des poèmes attribués à Chénier sont des créations artificielles des éditeurs à partir de plusieurs manuscrits ou fragments.
Les deux auteurs de cette liste d'indications d'erreurs ont établi des rubriques. Nous allons les passer en revue.

Premier problème, il faut écarter un faux, le poème sans titre "Proserpine incertaine..." que Becq de Fouquières a inclus dans son édition de 1872 pour la première fois est une supercherie d'Anatole France qui a été dénoncée en 1928. Le poème avait été publié en 1864 dans une revue Interm. des chercheurs et des curieux (interm. pour intermède, je suppose, pas envie de chercher).
Le poème a une raideur métrique mécanique charriant des lieux communs peu inspirés. L'auteur imite plus le cadre de la versification classique que le style de Chénier, à l'exception de deux points. Premièrement, la forme "Elle dit" en attaque de vers qui a un certain caractère formulaire est employée par Chénier dans d'autres compositions (je prétends cela de mémoire) et surtout Anatole France pratique au moins un rejet verbal à la Chénier, avec le verbe "Tombe" significativement repoussé à l'attaque de l'avant-dernier vers du poème.
Enfin, dans la mesure où bien des manuscrits de Chénier sont des fragments incomplets, l'auteur s'amuse à distribuer des lignes de points : il manque le second hémistiche du premier vers et une partie des propos rapportés de la jeune femme. Je me suis retenu d'interpréter "soudain" comme un adjectif, j'ai considéré qu'il y avait emploi de l'adverbe sans virgules pour l'encadrer. Je ne trouve pas très heureuse l'expression "son œil se ferme au sommeil éternel". Dans tous les cas, ce fragment à la facture écolière n'a pas d'autre intérêt pour mon étude que de confirmer par le pastiche l'importance décisive des rejets de verbes dans la poésie d'André Chénier, ce qui n'est pas si mal finalement.

Proserpine incertaine .....................
Sur sa victime encor suspendait ses ciseaux,
Et le fer, respectant ses longues tresses blondes,
Ne l'avait pas vouée aux infernales ondes.
Iris, du haut des cieux, sur ses ailes de feu,
Descend vers Proserpine : "Oui, qu'à l'infernal dieu
Didon soit immolée ; emporte enfin ta proie..."
...........................................................
Elle dit ; sous le fer soudain le crin mortel
Tombe ; son œil se ferme au sommeil éternel
Et son souffle s'envole à travers les nuages.

Ensuite, plusieurs poèmes sont dénoncées comme des "pièces composées par les auteurs à partir de fragments disparates", c'est le cas de "Lydé" (p.95-100), de "Hylas / Au chevalier de Pange" (page 91-94), du poème "Les Colombes" (page 107), de "Mnaïs" et des fragments numérotés I et II (pages 111-113), de "Bacchus" et des fragments également numérotés I et II (page 120), et même pour les célèbres ïambes avec l'incipit "Comme un dernier rayon..." (p. 467), où un poème à part entière "Quand au mouton..." s'est retrouvé abusivement intercalé dans l'ensemble. Toutefois, il n'est pas difficile de séparer le poème "Hylas" des vers dédiés "Au chevalier de Pange", ni d'admettre comme des fragments épars le texte "Les Colombes". Le poème "Mnaïs" a un certain souffle lyrique, il suffit d'en détacher les deux fragments d'un vers chacun. Il suffit également de détacher les deux fragments qui suivent le poème cohérent en soin qu'est "Bacchus".
Les fragments réunis sous le titre "Lydé" comportent quelques vers au rythme subtil. La forme "Elle s'assied" mériterait un commentaire, entre, même si ça peut se discuter, l'écho ou le rappel d'une célèbre didascalie dans Phèdre et le rejet en début de vers d'une forme qui pour ainsi dire expire, visée de sens qui revient volontiers dans les rejets de poètes. Moins marquant à mon jugement (je préfère le jeu modulé et malicieux de la reprise "Ce n'est pas" juste après, le jeu sur "Tremble et s'élève" appelle à son tour une analyse un peu similaire.

[...]
Des bêlements lointains partout m'ont appelée.
J'ai couru ; tu fuyais sans doute loin de moi :
C'était d'autres pasteurs. Où te chercher, ô toi
Le plus beau des humains ? [...]
[...]
Viens le savoir de moi ; viens, je veux te l'apprendre.
Viens remettre en mes mains ton âme vierge et tendre,
[...]
La nymphe l'aperçoit, et l'arrête, et soupire.
Vers un banc de gazon, tremblante, elle l'attire ;
Elle s'assied. Il vient, timide avec candeur,
Emu d'un peu d'orgueil, de joie et de pudeur.
[...]
Tu baisses tes yeux noirs ? Bienheureuse la mère
Qui t'a formé si beau, qui t'a nourri pour plaire !
Sans doute elle est déesse. Eh quoi ! ton jeune sein
Tremble et s'élève ? Enfant, tiens, porte ici ta main.
Le mien plus arrondi s'élève davantage.
Ce n'est pas (le sais-tu ? déjà dans le bocage
Quelque voile de nymphe est-il tombé pour toi ?),
Ce n'est pas cela seul qui diffère chez moi.
Tu souris ? tu rougis ? Que ta joue est brillante !
Que ta bouche est vermeille et ta peau transparente !
[...]

Je parlais d'amorces de vers expirantes, le montage artificiel "Hylas / Au chevalier de Pange" illustre ce phénomène, le tout étant suivi d'un contraste verbal. On peut mentionner au passage la pertinente périphrase "fils des bois du Pénée".

Le navire éloquent, fils des bois du Pénée,
Qui portait à Colchos la Grèce fortunée,
Craignant près de l'Euxin les menaces du Nord,
S'arrête, et se confie au doux calme d'un port.
Aux regards des héros le rivage est tranquille,
Ils descendent. Hylas prend un vase d'argile,
Et va, pour leurs banquets sur l'herbe préparés,
Chercher une onde pure en ces bords ignorés.
Reines, au sein d'un bois, d'une source prochaine,
Trois naïades l'ont vu s'avancer dans la plaine.
Elles ont vu ce front de jeunesse éclatant,
Cette bouche, ces yeux. Et leur onde à l'instant
Plus limpide, plus belle, un plus léger zéphyre,
Un murmure plus doux l'avertit et l'attire :
Il accourt. [...]
[...]

Egalement souligné, l'enjambement "à l'instant / Plus limpide" me semble avec un exceptionnel enjambement d'épithète dans un autre poème de Chénier "moissons joyeuses", à la source de l'enjambement "un instant / Joyeuse" du poème "La Dryade" de Vigny. D'autres vers seraient à citer dans le récit portant sur Hylas pour souligner le fin maniement des verbes.
Les fragments réunis sous le titre "Les Colombes" ont pour principal intérêt de confirmer que Chénier déploie une science du positionnement du verbe en tête de vers, encore que ce soit un exemple plus maladroit, une variante éliminant ou ne comportant pas le rejet "Se baisent" que je trouve peu porteur de sens pour le poème.

Que les deux beaux oiseaux, les colombes fidèles,
Se baisent. Pour s'aimer les dieux les firent belles.
Sous leur tête mobile, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l'éclat.
[...]
Le poème "Bacchus", sans les fragments qui le suivent, a deux grands mérites au plan du rythme. Premièrement, il développe une prodigieuse musique des noms propres, qui, si elle n'est pas sensible dans les deux premiers vers, devient enchanteresse lors de la reprise des mêmes noms aux vers 12 à 15. J'ai lu les dix premiers vers sans conviction, c'est vraiment à partir aux vers 12 et 13 que la magie opère. Il faut penser aux diérèses qui font partie du charme. Justement, l'opposition entre le caractère morne des deux premiers vers et l'emballement prenant des vers 12 et 13 s'explique par la différence d'amorce : "Viens, ô divin...., ô jeune... / O....", contre "Et chantaient... / Et...", mais encore par le placement idéal du nouveau nom mentionné "Evius" qui contribue à la ligne mélodique et anticipe les retour de deux noms "Bacchus" et "Evan", à cela s'ajoute "Iacchus" avec diérèse qui fait écho à "Evius" et à "Bacchus". Les diérèses sont nombreuses : "Thyonée", "Dyonise", "Evius", "Iacchus", et je n'en finirais pas de commenter tout le système d'harmonie et d'échos entre ces noms bien sonores. Enfin, l'autre attrait rythmique de ce poème que je cite volontairement in extenso vient de son avant-denier vers que j'ai relevé un jour dans une perspective de réflexion sur le trimètre. Il ne s'agit pas d'un trimètre, ni d'une forme ternaire approchant du trimètre, mais ce vers joue sur un déséquilibre du rythme d'un hémistiche à l'autre : "Toujours ivre, toujours débile, chancelant," ce que j'aurai beaucoup de mal à commenter avec précision. Ce qui est certain, c'est que c'est un prodigieux vers qui crée un effet de bascule après l'équilibre de chanson des hémistiches "Et le rauque tambour, les sonores cymbales, [...]".
 
Viens, ô divin Bacchus, ô jeune Thyonée,
O Dionyse, Evan, Iacchus et Lénée ;
Viens, tel que tu parus aux déserts de Naxos,
Quand ta voix rassurait la fille de Minos.
Le superbe éléphant, en proie à ta victoire,
Avait de ses débris formé ton char d'ivoire.
De pampres, de raisins mollement enchaîné,
Le tigre aux larges flancs de taches sillonné,
Et le lynx étoilé, la panthère sauvage,
Promenait avec toi ta cour sur ce rivage.
L'or reluisait partout aux axes de tes chars.
Les Ménades couraient en longs cheveux épars
Et chantaient Evius, Bacchus et Thyonée,
Et Dionyse, Evan, Iacchus et Lénée,
Et tout ce que pour toi la Grèce eut de beaux noms.
Et la voix des rochers répétait leurs chansons ;
Et le rauque tambour, les sonores cymbales,
Les hautbois tortueux, et les doubles crotales
Qu'agitaient en dansant sur ton bruyant chemin
Le faune, le satyre et le jeune sylvain,
Au hasard attroupés autour du vieux Silène,
Qui, sa coupe à la main, de la rive indienne,
Toujours ivre, toujours débile, chancelant,
Pas à pas cheminait sur son âne indolent.
Pour ce qui concerne le montage "Comme un dernier rayon..." et "Quand au mouton...", l'erreur s'explique sans doute pour trois raisons : recours à la même forme dite des "ïambes", vers cornéliens, thèmes révolutionnaires communs de prime abord.
Certains vers sont magnifiquement frappés et entrent en résonance avec l'actualité pour le poète de cette mort qu'il voit planer sur lui.
 
 Au pied de l'échafaud j'essaye encore ma lyre.

           Avant que de ses deux moitiés
Ce vers que je commence ait atteint la dernière,
           Peut-être en ces murs effrayés
Le messager de mort, noir recruteur des ombres,
            Escorté d'infâmes soldats,
Remplira de mon nom ces longs corridors sombres.

            Toi, Vertu, pleure si je meurs.

Le poème "Quand au mouton..." va du vers 25, arbitrairement considéré ainsi par Becq de Fouquières, au vers 52 (pages 467-469). Il permettait notamment de filer la métaphore de l'égorgement présente dans l'ensemble des vers 53 à 92 du montage opéré par les éditeurs du dix-neuvième siècle. Le passage des vers 53 à 92 retient mon attention. Il s'inspire nettement de vers des tragédies de Corneille, joue sur une condensation basique dans les répétitions. Je voulais insister au plan du rythme sur l'enjambement "Egorgée" qui souligne habilement soit au moyen d'une apposition en excès par rapport au format des vers, soit au moyen d'une surcharge d'épithètes postposées au verbe, mais juxtaposées simplement grâce à une virgule et non coordonnées par une conjonction. J'hésite à trancher l'analyse grammaticale pour la mention "Egorgée" : je n'aime pas réfléchir.

[...]
     La Peur blême et louche est leur dieu.
Le désespoir !... le fer. Ah ! lâches que nous sommes,
     Tous, oui, tous. Adieu, terre, adieu.
Vienne, vienne la mort ! Que la mort me délivre !
      Ainsi donc mon coeur abattu
Cède au poids de ses maux ? Non, non, puissé-je vivre !
      Ma vie importe à la vertu ;
[...]
S'il est écrit qu'aux cieux que jamais une épée
      N'étincellera dans mes mains,
Dans l'encre et l'amertume une autre arme trempée
      Peut encor servir les humains.
[...]
Si la risée atroce ou (plus atroce injure !)
      L'encens de hideux scélérats
Ont pénétré vos coeurs d'une longue blessure,
      Sauvez-moi ; conservez un bras
Qui lance votre foudre, un amant qui vous venge.
      Mourir sans vider mon carquois !
Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
      Ces bourreaux barbouilleurs de lois,
Ces tyrans effrontés de la France asservie,
      Egorgée !.... O mon cher trésor,
O ma plume ! Fiel, bile, horreur, dieux de ma vie !
      Par vous seuls je respire encor.

Bref, les poèmes bricolés ont des beautés. Les vers sont ceux de Chénier dans tous les cas et à ce niveau-là le commentaire n'est pas empêché.

Troisième rubrique sur les erreurs des éditions du dix-neuvième siècle, la "structuration générale du recueil" est désastreuse et de l'invention des éditeurs. Le classement en genres n'est pas fondé, il est démenti par les manuscrits. Des interprétations sont fâcheuses avec un "prologue" qui n'en est pas un, un "épilogue" qui est un prélude, etc. Les deux premiers poèmes des "Dernières poésies" ne sont pas à leur place, ils ont été composés avant l'incarcération de Chénier à Saint-Lazare. Tout cela ne concerne pas mon propos sur les vers de Chénier que je n'étudie d'ailleurs même pas dans une progression chronologique (je ne le saurais pas).
Quatrième rubrique, les auteurs dénoncent des vers manquants. Ceci dit, ces vers n'ont donc pas été connus non plus des poètes du dix-neuvième siècle. Comportent-ils des pépites pour l'analyse métrique ?
Le poème "A Marie-Joseph Chénier" serait quasi illisible du fait des vers manquants. Il n'aurait plus aucune logique, je n'ai pas vérifié.
Il manque une vingtaine de vers pour le fragment "Comme un dernier rayon...", ce qui déjà m'intéresse en soi. Il manquerait un ou plusieurs vers dans plusieurs poèmes. Pour les cas où il manque un vers ou un nombre impair de vers, non di djoum, faut que je fasse plus attention quand je lis des rimes.
Cinquième rubrique, la plupart des titres sont des éditeurs. Ceci dit, ils sont désormais pratiques à employer et ils ont été imposés aux lecteurs poètes du dix-neuvième siècle.
Sixième rubrique, la plus importante : il y a un paquet de "mauvaises lectures, négligences, omissions et corrections délibérées" et même des "inventions" de la part des éditeurs anciens. Le nombre d'erreurs est considérable et les poèmes où aucune erreur n'est constatée sont essentiellement les poèmes pour lesquels nous ne pouvons rien vérifier à l'aide d'un manuscrit.
Ici, je me permets une remarque. Je suppose que les éditeurs récents sont parfaitement au clair sur les liasses manuscrites utilisées par les premiers éditeurs. Plusieurs manuscrits de poèmes ne sont pas parvenus jusqu'à nous, Becq de Fouquières indiquait déjà qu'il s'en était perdu pas mal. Des poèmes très connus, en tout "Le Jeu de paume", ne nous sont pas parvenus sous forme manuscrite. On ne sait pas s'il y avait des doublons, etc. Faisons tout de même plutôt confiance aux éditeurs récents. La critique devient ici très sévère, ce qui peut être dur pour Becq de Fouquières qui a quand même pas mal travaillé, mais selon des méthodes propres à son époque, mais ce qui cible aussi la légèreté de choix dans l'optique d'un concours aussi important que l'agrégation d'une "oeuvre critique" qui porte mal son nom et qui est franchement dépassée.
Une rubrique à part concerne les pièces publiées du vivant de l'auteur. Nous avons sous forme de plaquette "Le Jeu de paume" en 1791 et un "Hymne" publié dans le "Journal de Paris" en 1792. Je ne vais pas parler du poème "Hymne" où le reproche de l'absence du post scriptum me semble un peu injuste vu qu'il s'agit d'un ajout en prose. Ce qui m'intéresse, c'est "Le Jeu de paume", puisque j'en ai parlé dans la première partie de mon étude en cours sur le vers de Chénier. Becq de Fouquières n'avait en principe qu'à recopier deux textes déjà imprimés. Les erreurs s'accumulent pourtant, notamment en ce qui concerne la ponctuation. Une erreur signalée à l'attention est la suivante : au vers 80, il ne faut pas lire "vertueux et prônés", mais "vertueux ou prônés". Mais les deux autres coquilles signalées à l'attention me paraissent beaucoup moins pertinentes : pour "cité reine", le texte a été imprimé avec un trait d'union "cité-reine", soit ; pour le vers 343, Volpilhac-Auger et Gaillard prétendent que la leçon de Becq de Fouquières est "C'est bien Fais", sans doute une coquille, car l'édition fac-similaire comporte un double point : "C'est bien : Fais-toi justice, [...]. Le texte original n'est pas flanqué d'un double point, mais d'un point tout simple : "C'est bien. Fais-toi justice, [....]". C'est vrai qu'il y a une déformation de l'intention du poète, mais ça ne met pas par terre la compréhension du poème. Pour la deuxième strophe que j'ai citée dans mon étude, je ne relève que deux erreurs légères dans la ponctuation. Au lieu d'une virgule, Becq de Fouquières a mis un point-virgule, qui peut se défendre, à la fin du vers 3, et, à l'inverse, à la césure du vers 35, au lieu d'un point-virgule, il a mis une simple virgule (corriger ainsi "dans le palais des rois," / "Qu'invisible elle vole ; [....]"). Rien là de bouleversant.
Enfin, après une longue liste d'erreurs recensées, les auteurs de la critique reviennent sur les poèmes publiés du vivant de l'auteur. Le poème "Le Jeu de paume" poserait un problème d'édition typographique.
Mais les auteurs reconnaissent que cela ne relève pas forcément de la volonté expresse de l'auteur.
Là où nous pouvons nous accorder, c'est sur l'abus des majuscules à certains mots, ce qui trahit la publication initiale sans doute reflet sur ce point des manuscrits de l'auteur.
En revanche, il était d'usage d'imprimer le premier mot d'un poème ou d'une strophe en petites capitales. Ce procédé a été appliqué aux vingt-deux strophes du "Jeu de paume". Faut-il en tirer argument pour publier ainsi les vers du "Jeu de paume" ? Je ne le crois pas. Les deux auteurs du commentaire critique prétendent que ces petites majuscules mettent en relief le rejet au début de la strophe XII du verbe "Sort", ce qui est faux, puisque les petits capitales sont à peine perceptibles. Après le "S" majuscule, il n'y a que trois lettres "ort" en petites capitales, et elles n'ont aucun relief particulier. Il s'agit d'un cas similaires aux poèmes de Rimbaud dont les vers manuscrits débutent par des minuscules. Bien des commentaires confondent cet artifice de présentation avec le fait de toucher au vers, ce qui est absurde. Que le poème soit présenté avec des majuscules ou non, les enjambements sont les mêmes, ils relèvent de la structure métrique.
Dans le cas du rejet très violent, d'une strophe à l'autre, du monosyllabe verbal "Sort", sa mise en relief typographique relève moins des petites capitales que du changement de page et de la numérotation XII sur lequel passe mentalement le lecteur qui enchaîne la lecture des vers en même temps. Le mot "sort" est isolé en haut de la page, cela suffit à son relief typographique. Mais, dans tous les cas, pour l'analyse, il faut juste considérer l'enjambement violent au plan métrique, la typographie ne change rien à l'affaire.
Un deuxième argument est produit pour la strophe XIX, avec la mention "C'est bien" qui dans l'original est à deux reprises en petites capitales, une fois en attaque de strophe, une fois en tant que mention d'un propos rapporté. Là, l'observation est fondée. Editer deux fois "C'est bien" en petites capitales accentue un relief visuel. Ceci fut-il médité par le poète ? Je n'en sais rien, ce n'est pas évident. De toute façon, nous avons d'autres habitudes désormais et la lecture ne souffre en rien du changement. Les deux auteurs critiques, au plan de la typographie, révèlent un peu les limites d'un exercice de critique automatique ou mécanique.
Toujours est-il que dans la suite de mon étude je citerai des extraits de poèmes de manière à me mettre à l'abri des reproches.
Toutefois, je n'ai pas manqué de relever dans la longue lister des vers à corriger un soupçon de manipulation par le premier éditeur Latouche qui aurait placé des vers de son invention dans le poème "L'Aveugle", les vers 242-245 sont déclarés "sans doute fabriqués par le premier éditeur, Latouche". J'ai l'impression que c'est l'unique falsification de ce genre relevée dans la liste que je n'ai pas encore eu le courage de lire intégralement et lentement.
J'espère que les vérifications à faire ne vont pas ralentir outre mesure la rédaction de la deuxième partie de mon article.

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