jeudi 5 octobre 2017

Compte rendu sur le recueil Colères d'Amédée Pommier

Le recueil Colères date de 1844. Il ne contient pas de poèmes particuliers au plan de la forme, de la mesure du vers, mais sur la publicité des ouvrages de l'auteur apparaît quand même le nom grotesque de métromane. Je cite, sans souci du respect de la mise en page :

Œuvres du métromane

Premières armes in-16.
La République ou le livre de sang in-8.
Les Assassins in-8.
Océanides et fantaisies in-8.
Craneries et dettes de coeur in-8.

   Sous presse, pour faire suite aux Colères
Boutades in-8.

Ce recueil, où domine le discours d'alexandrins à rimes plates, contient les poèmes suivants : "Juvénal", "Athéisme", "Egoïsme", "Aurolâtrie", "Luxe", "Immoralité", "Symptômes de mort - dégénération physique de l'espèce", "Le Progrès", "Le 8 mai 1842", "Charlatanisme" et "Politicomanie"
Il s'agit d'un ouvrage satirique qu'on peut résumer en grande partie par les titres retenus aux poèmes. Le premier poème "Juvénal" indique le modèle antique qui est suivi. L'auteur s'attaque bien sûr à son siècle, en dénonçant l'idéologie du progrès et l'athéisme conjugués à un progrès de l'égoïsme. La société vit dans la soif de l'or, du luxe, elle n'est plus qu'immoralité. Tout le monde veut être roi, c'est cela la politique d'aujourd'hui, et c'est un monde à deux catégories : filous marchands contre naïfs. Ce monde est fini, il va à une mort inévitable. L'auteur ne lui donne pas son adhésion et, dans sa conclusion, il prétend ne pas se plaindre du roi Louis-Philippe et donc ne pas sentir le besoin de verser dans la discussion politique sur ce que doit devenir l'état. Ceci entre en étrange résonance avec le discours du poème "Charlatanisme" quand on songe à la figure de roi bourgeois dont il prétend ne pas avoir à se plaindre. Un titre est plus opaque, la date "Le 8 mai 1842" invite au souvenir d'un échec cuisant du progrès, un drame ferroviaire entre Versailles et Paris. Non seulement les passages furent broyés par les wagons lors du déraillement du train, mais le feu calcina tous ces corps qui furent encore exposés à la curiosité populaire avant d'être enterrés.
Le recueil est précédé d'un texte en prose "Un mot d'avertissement" qui doit nous intéresser également, d'abord par ses fanfaronnades stupides, ensuite par ce qu'il dit qu'était la version originelle du poème "Juvénal".
Citons quelques passages, je pars de mon cahier de notes :

J'aurais pu facilement doubler ce recueil [...] [et corriger certaines "pièces  trop anciennes" qui deviennent fausses avec le temps] [.... L]e présent recueil avait d'abord été conçu dans un système de faroucherie et de violence à peu près illimitées, et sans exemple, je crois, dans aucune langue. [Je me suis moi-même censuré, tenant compte des amis] sarclant et fauchant à droite et à gauche [...] Des pièces entières ont disparu à cause de leur trop grande excentricité [... J'ai dû commettre des "amputations considérables", mes pièces je les ai "toutes adoucies"] C'est ainsi que, dans la satire première seulement, j'ai retranché un tableau des infirmité corporelles, curieux échantillon de poésie pathologique, et une comparaison du dix-neuvième siècle avec un charnier, morceau d'une couleur étrange, ne manquant pas de caractère, enrichi de toutes les fioritures que la matière pouvait fournir, mon chef-d'oeuvre en un mot [...] [Je suis déçu, mes "satires" deviennent presque une "idylle", mon texte j'ai dû "l'affaiblir", mes pièces sont "toutes édulcorées" et je dois renoncer à séduire par le "scandale".]

 Songeons que, dans "Voyelles", tout commence par le charnier communard du "A noir".
Pommier revendique une audace dans le mauvais goût qui n'a point d'exemple antérieur. Une comparaison est à conduire avec le recueil de 1853 de Victor Hugo Châtiments, d'autant qu'on va retrouver la référence à "Juvénal", l'image du "pilori".
Remarquez aussi dans ce "mot d'avertissement", la forme du mot "faroucherie". Dans l'Album zutique, Rimbaud a donné à sa série inspirée de Pommier le titre "Conneries", j'ai pu dire que ce titre dispensait de signer Amédée Pommier les trois sonnet "Jeune goinfre", "Paris" et "Cocher ivre". Rimbaud a repris les mots suivants des titres de recueils de Pommier : "Colères", "crâneries", "colifichets". Il y fait briller le mot vulgaire à signification sexuelle en même temps "con" bien présent dans le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle.
Mais, une réponse peut s'accompagner d'un complément d'information. Dans le recueil Colères, Pommier s'autorise un grand nombre de mots se terminant par "-ries" au pluriel, parfois par "-rie" au singulier. Certains sont des néologismes ou peu s'en faut. Ils apapraissent surtout vers la fin du recueil, à moins que mon cerveau n'ait réagi tardivement. Nous trouvons "faroucherie" dans l'avant-propos en prose, mais plusieurs sont à la rime. Voici une liste de ce que j'ai relevé : "faroucherie", "Aurolâtrie" (titre et jeu bien sûr sur "Idolâtrie"), rime mais rien à voir pour le sens "seigneurie"::"savaterie" qui m'a marqué dans "Luxe", "hâblerie", "supercheries", "charlatanneries" dans "Charlatanisme", "avocasserie", rabâcheries", "bravacheries", "parlerie" dans "Politicomanie".
Selon moi, le premier poème "Juvénal" a inspiré "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple", et je remarque que si Colères est le titre du recueil et que le mot "colère" surgit bien dans ce vers : "Quand de son coeur trop plein la colère déborde," depuis longtemps déjà je lie "Voyelles" à la Commune de Paris de "Paris se repeuple", non seulement à cause de la reprise "strideur", "clairons", "suprême", mais aussi à cause de la reprise de "colères" au pluriel dans "colère" au singulier, avec à chaque fois le mot présenté comme un absolu de révolte, c'est-à-dire sans un adjectif ou un complément du nom. Pommier emploi aussi le latin "il tonne ab irato" en associant la colère à l'orage. Rimbaud écrira : "L'orage t'a sacré suprême poésie" avec licence pour l'accord du participe passé apparemment. De "Juvénal", je peux citer encore "Comment pouvoir calmer sa colère qui bout ?"
Il est question de "cataplasmes" et d' "ulcères", puis de "livides ulcères", ce dernier mot revenant dans le recueil. Il y a une description qui fait songer à un modèle pour la transformation de Paris dans "Paris se repeuple". Mes notes sont lacunaires, mais Pommier parle lui de la France, je crois. J'ai relevé ces deux et quatre vers en passant, mai sil faudrait aller plus loin  :

Fomentant de son sein l'effroyable cancer,
Aveuglément livrée au démon de la chair,
Jamais fosse en un mot, jamais mare croupie,
N'égala cette Rome en sa vase accroupie :
C'était un corps putride et rongé par les vers,
Dont les exhalaisons empestaient l'univers !
Je ne vais pas tout développer ici sur les liens à Hugo et à "Paris se repeuple".
Le poème "Juvénal" a un rôle introducteur comme je l'ai dit et à la fin l'ambition d'une nouvelle audace satirique est réaffirmée :

Et prouver qu'avant moi notre langue française
En fait d'emportement n'a su que bégayer ;
[...]
Le poème décrit les débauches d'une Rome décadente, jusqu'à la venue d'un auteur capable d'imposer à la postérité un "pilori vengeur". "Alors parut / Juvénal", sa "parole" est "fouet", "glaive". Pommier admire la langue de Juvénal et pardonne à ces temps de paganisme les propos inenvisageables du point de vue chrétien qu'il peut tenir parfois. Il se propose de l'imiter pour notre siècle. Boileau ne convient pas à notre époque, il ne critiquait que le style, il faut s'attaquer aux moeurs et à l'amour de l'or, à l'égoïsme ambiant d'une "infâme époque". Pommier veut revendiquer l'emploi du "mot populaire", une satire rude et brutale, quand nous sommes habitués à gronder dans une langue policée (ça, c'est de moi). En revanche, Pommier veut être un homme d'honneur. Sa satire doit être générale, il va s'interdire les attaques personnelles, il considère le recours au "nom propre [comme] banni". Cela le distingue du projet hugolien des Châtiments et aussi du sonnet "Paris" de Rimbaud.
Pommier est un poète de second ordre, et ces vers d'une syllabe sont particulièrement mauvais, mais je voudrais quand même indiquer à l'attention des vers qui surnagent dans l'ensemble, qui sont réussis ou qui amènent heureusement une rime.

Elle laissait passer aux mains d'un histrion
Les dépouilles du Sud et du Septentrion.
(Noter que nous sommes encore dans les premiers vers, et que la première rime était "légion"::"région", ce qui confirme que cette rime a été plus méditée que les autres)

[...]
Dans les récits naïfs du calme Suétone.
(Pour vraiment apprécier ce vers, il faut lire ceux qui précèdent, tant pis pour vous)

Un vin qui de la soif l'avait bientôt guéri
(il est question de Locuste...)

                                  [....] l'aruspice qui fend
Le ventre d'un poulet, quelquefois d'un enfant;
(tour très hugolien)

 Et qui sur un turbot à la fin délibère !
(lire les vers qui précèdent)

Et chacun, de l'argent faisant son seul amour,
Veut avoir l'opulence et l'avoir en un jour.
(Dans son traité, Banville parle de savoir renouveler une rime aussi banale que "amour"::"jour", je pense que c'est un bon exemple)

Car, les écus sauvés, qu'importe l'infamie ? 
Nous avons la mention du "fer rouge" dans "Juvénal" ce qui est à rapprocher d'Hugo en 1853, puis de Glatigny, celle du "cloaque". Enfin, bref.

Un autre rapprochement important, c'est celui avec l'alexandrin orphelin de Ricard. Il me faudra rendre compte des poésies de Ricard, et j'aurai à y revenir, mais le monostiche de Rimbaud comporte des mots "humanité", "progrès", l'idée métaphorique d'une marche. Le vers que démarque Rimbaud est contenu dans un poème intitulé "L'égoïste ou la leçon de la mort". Je cite ces deux vers de Ricard valant modèle pour le vers zutique de Rimbaud :

Prends en pitié ce fou qui, se pensant un sage,
Croit que l'humanité marche dans le progrès.

L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès.
(Rimbaud)
Or, dans Colères, sans article comme Châtiments en 1853, Pommier avait composé un poème intitulé "Egoïsme" et un poème intitulé "Progrès". Dans "Egoïsme", nous tombons sur ce vers qui a bien l'air d'un modèle pour Ricard, quand bien même et chez Pommier et chez Ricard tout cela ne va pas sans renvoi à un cliché hors poésie:

On savait où trouver le centre et l'unité,
Et vers un but commun marchait l'humanité.

Dans le poème intitulé "Le Progrès", nous avons les vers suivants :
Pour peu qu'on s'en rapporte à certains optimistes,
De l'âge où nous vivons ardents apologistes,
L'homme touche à des jours de bénédiction ;
Nous marchons à grands pas vers la perfection ;
[...]
Nous aurions atteint un "âge de raison" et l'ironie du poète s'abat sur cette idée en appréciant la recrudescence des suicides, motif romantique qui plus est. Ces gens se tuent pour évacuer leur "trop plein de bonheur", raille Pommier.
Les poèmes "Egoïsme" et "Le Progrès" sont à comparer au discours tenu par Ricard, mais d'autres encore du recueil Colères, par exemple "Athéisme", le troisième poème du recueil, le mot "athéisme" figurant dans le poème "Le Progrès", car cet athéisme que Pommier reproche au monde égoïste où il vit établit une différence avec le discours de Ricard.
Puisque j'en suis au poème "Le Progrès", j'en profite pour indiquer un passage qui a à voir avec l'expression "clysopompes d'argent", j'en aurai un autre à citer plus loin, mais encore un passage qui parlant de la terre fait écho à l'image de la ville de Paris fouillée dans "Paris se repeuple", et enfin deux passages qui sont à l'origine du titre zutique "Cocher ivre" de l'unique sonnet en vers d'une syllabe de Rimbaud qui nous soit parvenu.

                        [...] et le clysoir annule
La seringue d'étain et l'antique cannule.
 ("nonchaloir" mais non "balançoirs" pas loin après)

A notre terre on fait mainte excavation
On entr'ouvre ses flancs [...]
(Cela pourrait faire des vers écologiques d'actualité, en fait ! Quel visionnaire ce Pommier, faut dire aussi qu'avait un nom pareil, il a dû sentir les choses avant tout le monde, par les racines... La mention "chancre hideux" figure aussi plus haut dans le poème.)
De nos jours, le progrès a pris le mors aux dents.
Holà ! ho ! retenez vos chevaux trop ardents,
Perfectibilité, bonne femme un peu soûle,
Qui conduisez le coche où l'humanité roule !
[...]
Choir, cu par-dessus tête [...]
(J'ai eu la flemme de tout recopier.)
Ne la surmenez pas, comme un postillon ivre
Que fouaille à tour de bras la bête qu'on lui livre ;
(il parle de la "terre", ces vers faisant suite à ceux cités sur les "flancs" entrouverts)
 J'ai relevé comme ça "rail-way" et "léviathan" et "paupérisme" en lien à "chancre hideux". C'est de la prise de notes encore sommaire. L'idée du progrès qui va trop vite comme excité par un cocher ou comme un train, cela me fait songer à la science qui va trop vite dans Une saison en enfer. Dans le même ordre d'idées, "jeter les yeux sur nos difformités", cela fait écho pour moi à deux passages de Colères : "Quand je jette les yeux sur notre infâme époque" et "Notre difformité me confond" dans "Symptômes de la mort - Dégénération physique de l'espèce".
Enfin, l'image du cocher fou revient dans le poème final "Politicomanie", mais sans la métaphore de l'ivresse cette fois, la "Chambre" est un "intraitable cocher" qu'on ne saurait comparer à Richelieu qui tenait bien les "rênes", selon Pommier.
J'ai cité plusieurs passages du poème "Le Progrès", mais je reviens au poème "Egoïsme", l'autre poème qui force un rapprochement avec Ricard. Le poème commence ainsi "Le genre humain est vieux", un "grand corps" qui "se dissout", etc. L'ordre et l'unité des anciens, le contraire de l'emballement fustigé par la métaphore du cocher, venait de deux principes successifs, "l'amour de la patrie" chez les païens ou "anciens", et la "foi chrétienne" au Moyen Âge. Il était ainsi question de "soudures morales".
Après, j'ai deux vers mal recopiés, mais je sais que c'est à la page 30. J'arrive à relire le suivant : "Le moi remplit le monde et l'égoïsme est roi." J'ai relevé la rime "coque"::"moque", sans doute parce qu'elle m'a plu ou rendu intéressé. J'ai relevé "fabricateur de mètres", ça c'est dans le mauvais goût de la formule "métromane". Et enfin deux vers bien tournés, du moins du Belmontet à son maximum de possibilité :

C'est dans notre estomac, viscère tant fêté,
Que réside à présent la sensibilité.

J'ai dit que "Athéisme" était à rapprocher de "Egoïsme" et "Le Progrès", c'est le second poème du recueil, il fait donc suite à l'introduction qu'est "Juvénal", ce qui met bien en relier la dénonciation capitale de l'irréligiosité d'une époque.
J'ai relevé les mentions rapprochées "ordre social" et "bases sociales" en songeant au dizain "Epilogue" de Valade ou au dizain de Verlaine en même temps : "pieuvres sociales", etc.
Ce poème comporte aussi le segment "poissarde ivre" à rapprocher de "Pouacre boit" dans "Jeune goinfre" et quelque peu de "Cocher ivre" à nouveau.
Je me suis entouré deux mots à la rime, car je trouve que, même si les vers n'envoyaient pas, leur seul accouplement me séduisait : "Credo":: "fardeau".
Je cite trois vers qui font bien écho à cette question d'un progrès qui s'emballe et remplace la religion, avec une mention capitale de Lucrère, je viens de citer le mot qui doit rappeler un poème des débuts de Rimbaud !

Aux dépens de la foi la science progresse.
La nature est pour nous le monde de Lucrèce,
Navire sans pilote, oeuvre sans ouvriers ;
[...]
L'univers du chimiste et du physicien
L'emporte désormais [...]

Attention, je ne prétends pas que Pommier a été lu par Rimbaud pour la composition de "Soleil et Chair", j'observe autre chose, le fond d'une époque et la possibilité pour Rimbaud de réagir quand il lit une dénonciation de ce qu'il a déjà écrit. En revanche, la seconde partie de la dernière citation me fait penser à "Soir historique", c'est à creuser encore pour moi. Sinon, la mention "Navire sans pilote", sachant que je viens de mentionner "poissarde ivre" dans le même poème et que le titre "Cocher ivre" est né de la lecture de Pommier, j'ai tendance à y voir une source au titre "Bateau ivre".
J'ai encore relevé les quatre vers suivants, à cause du thème de l'enfance :

Et que l'homme ici-bas s'éteigne pour revivre,
C'est ce que ne croit plus le dernier écolier.
L'athéisme aux marmots est déjà familier ;
Son venin a flétri la candeur de l'enfance !

J'ai noté le vers suivant, très réussi, surtout le premier hémistiche :
Enfin, Dieu nous persait : on n'en a plus voulu.
(à rapprocher évidemment de la rime "credo"::"fardeau" relevée plus haut)
Le siècle où nous vivons n'a point de catéchisme.
L'indifférence est là, pire encore que le schisme.
(ces vers n'ont rien de spécial, j'ai observé l'emploi du mot "schisme" et le sens)
Au passage, j'ai noté "torpeurs", sans doute à cause de "Paris se repeuple", recherche à faire.

Encore une rime qui m'a beaucoup plu : "Je crois" et "crânes étroits", mais il faut lire les deux vers pour l'apprécier.
Après, j'ai songé au Père Goriot de Balzac en lisant ceci : "le Christ [...] / Un Dieu, type éternel de la paternité'". J'ai relevé rapidement "nous console", "charité", une rime à retrouver pages 26-27, un "décret sur les processions", "bannières de moire", la rime "filles de joie" :: "publique voie" et la mention "le clairon du jugement dernier".

Passons maintenant au troisième grand rapprochement. Il s'agit du poème "Charlatanisme". Alain Chevrier l'a envisagé comme une source possible du sonnet "Paris" de Rimbaud à cause d'une longue énumération de produits sur plusieurs vers, et cela est repris par Teyssèdre. Je n'avais pas trop réagi à cette hypothèse. Alain Chevrier avait également publié un livre sur les vers d'une syllabe. Mais Chevrier n'envisageait les poèmes de Pommier que comme des sources parmi d'autres aux parodies zutiques, et il ne les envisageait pas comme des cibles des parodies zutiques, mais comme un modèle formel à peu près initial dans un tableau chronologique.
En 2009, j'ai fait une découverte. Verlaine avait moqué l'intérêt de Barbey d'Aurevilly pour les vers d'une syllabe de Pommier, et Daudet qui soutenait Barbey d'Aurevilly dans sa prise en grippe des parnassiens avait écrit contre Verlaine un sonnet en vers d'une syllabe.
C'est là qu'il devint clair pour moi que le sonnet de Rességuier n'était pas le modèle originel depuis lequel tout se distribuait pêle-mêle, et que les cibles zutiques étaient Pommier et Daudet.
Malgré ses intuitions, Chevrier n'a pas posé comme moi l'origine satirique des sonnets en vers d'une syllabe et il n'a pas identifié que Pommier était parodié par ailleurs, ce qu'en revanche j'ai montré abondamment récemment.
En fait, tous les sonnets en vers d'une syllabe de l'Album zutique empruntent à l'oeuvre de Pommier, au sonnet de Daudet, puis parfois empruntent à un sonnet zutique. Les poètes n'empruntent pas exclusivement aux deux poèmes de Pommier en vers d'une syllabe. Par exemple, "lombe" de "Cocher ivre" vient du poème "Aurolâtrie". J'ai eu la flemme de tout recopier, mais j'ai repris la rime et le vers contenant "lombe". Pourquoi la rime ? Parce que "lombe" rime alors avec "colombe", ce qui impose à l'esprit l'idée de "blanche colombe" puisque dans "Cocher ivre", il est question de "Nacre".

                                                        [...] colombe
Achètent l'opulance aux dépens de leurs lombes ;

Le titre "Cocher ivre" est issu justement d'un rapprochement entre plusieurs passages du recueil Colères. Tout se tient.

J'en reviens à "Charlatanisme". Plusieurs passages peuvent justifier un rapprochement avec d'autres de l'Album zutique, un rapprochement par des mentions communes : "et les cors", "graisser les souliers", "Remèdes pour les cors et pour les engelures", "clysoir". J'ai relevé deux vers pour la rime "buse", "abuse" exploitée dans un poème sur deux mesures, dont l'une est de une syllabe, dans l'Album zutique.

Ces escrocs si hardis et ce public si buse,
Qui cent fois abusé, souffre encor qu'on l'abuse,

Je relève la rime "nasse" :: "bonasse" à cause du "Bateau ivre", la rime "sincère"::"s'insère" qui m'a plu, l'orthographe "ognons", l'humanité en deux parts filous et abusés qui me fait songer encore une fois à Une saison en enfer : "les marchands, les naïfs".
Maintenant, je vais traiter rapidement des autres poèmes du recueil.
Du poème final "Politocomanie", j'ai déjà cité quelques éléments : les rimes en "-ries", la métaphore du cocher opposant la Chambre à Richelieu. et l'acceptation du roi bourgeois Louis-Philippe. Un vers de la fin du poème justifie à nouveau un rapprochement avec le sonnet zutique "Paris", à cause de la mention "sergent-de-ville", celle de "gendarme" pouvant faire écho à celle dans "Etat de siège", poème qui contient le mot "engelure" déjà.

Jamais sergent-de-ville, ou patrouille, ou gendarme,
Ne m'a jusqu'à ce jour causé la moindre alarme;
[...]

J'ai noté en vitesse "des changements à vue", "drame verbeux, parade monotone" ou plus obscur pour vous "fils de / progrès / autant de publicistes", ainsi que "cassonade" à cause de vers inédits cités par Delahaye, l'orthographe d'époque "tartufes", une mention du journal "Moniteur" à cause des pré-originales de Coppée, et puis ces deux vers :
Tout perruquier-coiffeur entend bien que son fieu
Laisse la savonnette et monte en plus haut lieu,
[...]

Pour l'instant, je dégrossis un peu les choses. Je reviendrai sur tout cela avec un article fouillé.

Les poèmes dont il me reste à parler sont "Aurolâtrie", "Luxe", "Immoralité" et "Symptômes de la mort - Dégénération physique de l'espèce", car du poème "Le 8 mai 1842", je n'ai rien retenu d'autre que les "e" qui s'enchaînent maladroitement pour des vers dans "entre-heurtés".
Baudelaire serait content de voir la dénonciation de "l'utile" dans "Aurolâtrie". Il a dû l'être, puisqu'il a dû lire ce recueil en 1844 même.
J'ai relevé de bonnes paires de rimes : "pistoles"::"idoles" et "respectable"::"table". Pour cette dernière rime, les deux vers étaient très bien tournés, mais je ne les ai pas recopiés.
J'ai déjà cité le cas de "lombes". La "passion de l'or" est bien sûr opposée au "désintéressement" et à la fin du poème les vers sont décrits comme un "crachat" envoyé à la face de ce "siècle" "De marchands". "Je te jette ces vers [....]".
J'ai relevé quelques vers bien écrits :

Aujourd'hui le seul crime est une bourse vide ;
(bon trait d'esprit à la Hugo)

Et que celui-là seul est vraiment dans l'opprobre
Qu'une maigre chevance oblige d'être sobre.

Du poème "Luxe", j'ai déjà cité la rime "seigneurie"::"savaterie", il faudrait lire les vers qui la contiennent en fait. Je cite aussi le vers suivant bien tourné au sujet de la particule :
Le de devient vulgaire et qui veut s'emmarquise[.]

J'aime bien aussi la construction rythmique du couple de vers suivant :
On n'a ni draps de lit, ni serviettes, ni vin,
Mais ce qu'on montre est cher et superbe et divin.
Pour "Immoralité", j'ai noté les vers du début :

C'est un immense égout dont je fais le curage,
Travail nauséabond, labeur herculéen,
Qui voudrait un balai bien plus fort que le mien.
(j'ai pensé à "L'Egout de Rome" traité dans Les Châtiments, Juvénal oblige, mais aussi au dizain "Le Balai" qui parle plutôt de chiottes toutefois)
J'ai relevé "verrat" à cause de Mérat, mais je ne sais pas trop quoi en faire.
Puis, j'ai pris au passage "boulevards aplanis", "gaz", "bitume", tout un travail à faire sur le changement de la ville de Paris, en songeant au "Cycgne" de Baudelaire, au Paris hausmanien, à ceci près que Pommier écrit en 1844, mais il y a tout ce discours sur l'insalubrité des vieux immeubles qui disparaît pour de nouveaux boulevards. On prêterai au régime de Napoléon III quelque chose d'entamé un peu avant, on dirait.
Surtout, j'ai noté le mot "tabagie" tout seul, mais l'idée c'est que Pommier en fait un symbole d'incivisme vis-à-vis des femmes, car on fume au nez des gens. J'ai pensé à l'anecdote rapportée par Mercier du geste cruel et inexplicable de Rimbaud fumant dans les naseaux d'un cheval. Les parodies de Pommier étant contemporaines de cette étrange action, je me demande si l'explication ne viendrait pas des vers de "Immoralité".

J'ai noté deux vers à rapprocher de "Vénus anadyomène". Pour le coup, je me demande franchement si Rimbaud n'avait pas lu le recueil de Pommier, surtout que le mot "ulcère" est déjà là avant "Paris se repeuple".

Etalant les rondeurs de la hanche et du sein,
[...]
Et montrant au public leurs cuisses tout entières.

A cause de "L'Angelot maudit" dont je montrerait qu'il emprunte aussi à l'oeuvre de Pommier, j'ai relevé "carrefour" et "quartiers en cloaques", puis j'ai noté "Concert Musard".

Nous voilà au dernier poème : "Symptômes de mort - Dégénération physique de l'espèce."
J'ai noté l'expression "égoïsme profond", mais dossier Ricard encore devant nous.
J'ai noté la rime amusante "cierges" : : "asperges"., une suite de diérèses désagréables sur plusieurs vers consécutifs : "détériore", "babouins", "grouins". La caractérisation de notre monde comme "énervé", mais au sens de "sans nerf" :

Moi, produit énervé de notre ère moderne,
[...]
Nous n'avons plus de nerf [...]

Et pour terminer, je cite quatre vers :

Plus de lois, plus de moeurs ; tous les vices fétides
Supplantent les vertus, nobles cariatides,
Qui, du grand édifice appui primordial,
Debout, prêtaient l'épaule au temple social.

Je ne sais pas trop comment exploiter la mention "cariatides" soit côté Banville, soit côté "Paris se repeuple", mais je préfère la relever.
Voilà, ce sera tout pour ce recueil. Les autres comptes rendus ne seront pas aussi décousus, le recueil Colères a une importance à part. 

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