vendredi 22 septembre 2017

Madrigal, un poème de madrigalant ?

Par la comparaison du dossier manuscrit paginé dit "Dossier Verlaine" qui nous est parvenu avec une liste de titres et nombre de vers de poèmes de Rimbaud publiée par André Vial dans les années 70, Steve Murphy, Yves Reboul et la plupart des rimbaldiens en arrivent à une conclusion difficilement contestable : le titre "Madrigal" pour quatre vers doit désigner le quatrain sans titre que nous connaissons "L'Etoile a pleuré rose...", avis que je partage bien évidemment, d'autant que le titre est plus une mention générique qu'un titre authentique si nous comparons avec le reste : "Soeurs de charité", "Chercheuses de poux", "Homme juste", "Voyelles", "Oraison du soir", etc.
En 1999, Yves Reboul a publié un article décisif sur ce quatrain, une découverte plus forte que celle sur "L'Homme juste" pour lequel personne ne réfléchissait tout en tournant autour du pot, puisqu'Ascione avait envisagé les allusions à la proscription de Victor Hugo et que l'assimilation à Jésus-Christ était absurde. Quelqu'un pourtant a-t-il fait son profit de cette étude à part nous-même ? Nous pouvons nous le demander puisque personne n'a réagi ou véritablement repris la leçon de cet article. Yves Reboul lui-même a sans aucun doute sous-évalué l'importance de sa découverte, puisqu'il n'a pas su rebondir et envisager une lecture de "Voyelles", ni envisager que "Beams" décrit une allégorie et certainement pas Rimbaud lui-même, tandis que "Credo in unam" que Reboul sollicite fortement pour commenter "L'Etoile a pleuré rose..." est assimilé à un centon dans des écrits plus récents.
Malgré tout, il a éclairé le sens de "L'Etoile a pleuré rose...", il n'y aurait plus rien à dire. Reboul joue lui-même avec cette idée dans le titre de son article "Quelques mots sur 'L'Etoile a pleuré rose...' " qui signifie petit commentaire pour un court poème, et beaucoup doivent se dire : petit commentaire comme il convient à un poème aussi court.
Pourtant, il semblait en aller ainsi avec les études déjà très fouillées du "Sonnet du Trou du Cul", d'autant que plein d'emprunts avaient été mentionnés à partir de la cible désignée qu'était le mince recueil L'Idole d'Albert Mérat. Et Murphy avait ajouté à l'édifice un emprunt ou deux au recueil Amours et Priapées d'Henri Cantel, auteur obscur. Il ne restait que des miettes. Nous venons de voir que, loin de fermer l'horizon, la mention complémentaire du recueil érotique de Cantel nous a permis de prendre en charge un commentaire de fond résolument neuf d'un poème zutique qui semblait par exception ne pas devoir permettre à un certain David Ducoffre d'asseoir encore plus son autorité de spécialiste zutique. Nous rions beaucoup, parce que nous savons à quel point notre article de la veille sur le "Sonnet du Trou du Cul" assomme complètement la critique zutque, d'autres études faisant pareil avec Une saison en enfer.
Revenons donc à 'L'Etoile a pleuré rose..."
Reboul qui cite un vieux vieux commentaire d'Etiemble rejette l'interprétation d'un blason idéalisant et parnassien de la femme. Mais son explication ne porte véritablement que sur le dernier vers, la pointe du madrigal. Pierre Brunel venait d'envisager que cette saignée noire sur un flanc avait quelque chose d'une allusion au Christ percé d'un coup de lance sur la Croix, et rappelons ici que cette allusion a déjà été explicitement employée par Rimbaud dans les "deux trous rouges au côté droit" du "Dormeur du Val", la tradition iconographique ayant imposé le côté droit, car le coeur de l'être humain est à gauche, sauf chez notre grand-mère paternelle où la position était inversée. Reboul rappelle à Brunel qui le néglige que les allusions christiques chez Rimbaud et bien des républicains athées sont détournées dans une espèce de messianisme laïc. Il cite l'exemple du "INRI" de Cladel pour commémorer le martyre du peuple de Paris sous la Commune.
Le fait de verser un sang noir sur le flanc d'une femme, c'est en effet une image de martyre à la guerre, et le sang noir est une image ambivalente : inquiétante, mais aussi exemple d'un sang fort et non pâle.
Reboul s'appuie tout particulièrement sur la majuscule à "Homme" qui relève d'un discours assez codé qui se trouve déjà dans "Credo in unam".
Ce sang, c'est le don sacrificiel du vrai "Homme" le communard parisien en mai 1871. Et le mot "souverain" a du sens politiquement.
En revanche, pour les trois premiers vers; Reboul balaie d'un revers de la main pas mal de choses intéressantes.
Par exemple, le titre "Madrigal" dont il exploite la signification lui sert à éloigner "L'Etoile a pleuré rose..." de "Voyelles". En effet, dans la liste de titres publiée par André Vial, le titre "Madrigal" figure entre "Oraison du soir" et "Les Soeurs de charité". Il prend prétexte de cela pour dire que le lien initial que nous avons constaté sur un manuscrit entre "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose..." est dénoué, défait par la liste de titres correspondant au même ensemble de poèmes. Mais c'est absurde ! Tout ce qui est établi, c'est que Rimbaud n'imposait pas une solidarité éternelle entre ces deux poèmes, mais le manuscrit atteste un rapprochement de toute façon. Reboul rejette alors le lien par les couleurs entre le sonnet du "A noir" et le quatrain qui colorise étrangement étoile en rose, mer en roux, infini en blanc, sang de l'homme en noir.
Et cela continue, Reboul mentionne vaguement, je veux dire sans citation de noms, que le quatrain est parfois rapproché en tant que blason du recueil L'Idole d'Albert Mérat cible parodique du "Sonnet du Trou du Cul".
Il concède la possibilité de "quelques réminiscences de ce bref recueil" et cite deux vers du "Sonnet de l'oreille" dont pourrait se souvenir Rimbaud pour son premier vers :

Elles seraient la rose et le satin des fleurs [...]
Et la lumière y trace, exquise, des sillages.
L'Etoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles [...]
 Mais Rimbaud n'a pas besoin de rechercher l'adhésion de Mérat pour l'imiter, comme l'illustre ce "Sonnet du Trou du Cul" composé de concert avec Verlaine. Je cite : "On pourrait envisager, il est vrai, qu'il ait délibérément joué un jeu, concevant par exemple le quatrain comme un hommage à Mérat destiné à lui procurer l'appui de ce dernier. L'idée n'a en soi rien d'absurde, mais avec l'évolution catastrophique des rapports entre lui et l'auteur de L'Idole, une telle démarche aurait très rapidement perdu sa raison d'être [...]." Mais, outre que cette explication à l'écriture d'un poème n'a rien pour plaire et convaincre,  Rimbaud n'a pas écrit des quatrains pour Catherinettes. Son quatrain "Lys" met en boîte toute la production poétique déjà publiée par Armand Silvestre fin 1871. Et nous avons eu en 1872 deux quatrains réunis sous le titre "Vers pour les lieux" qui ont un lien si explicite avec le "trou du cul" que dans l'un de ces deux quatrains, celui en octosyllabes, nous avons une occurrence du mot "trou" et une fausse attribution de ces vers par la signature à Albert Mérat lui-même.

De ce siège si mal tourné
Qu'il fait s'embrouiller nos entrailles,
Le trou dut être maçonné
Par de véritables canailles.

                                  Albert Mérat
                                  Paris, 1872.
 Quatrain, c'est un quatrain, comme dirait Tristan Corbière. Nous connaissons deux états manuscrits de ces deux quatrains, des transcriptions par Verlaine dans des lettres contemporaines, une à Delahaye du 14 octobre 1883 et une autre du 20 décembre 1883 à Morice. Les héritiers de Verlaine doivent toujours posséder les originaux supports de la copie de ces poèmes obscènes à l'époque impubliables. Le titre d'ensemble, variante au titre "Conneries" (sachant que le mot "con" revient deux fois dans le quatrain en alexandrins), "Vers pour les lieux" n'est envoyé qu'à Delahaye. Mérat n'est pas mentionné dans ce premier envoi. En revanche, dans la lettre à Morice, les deux quatrains sont transcrits sans chapeau d'un titre collectif avec à chaque fois la mention de date "Paris, 1872" pour le premier et "mê'me 'lieu', même date' " pour le second. La transcription du premier quatrain donnée ici est donc fautive, il n'y a pas la mention "Albert Mérat". Murphy l'a adoptée sans tenir compte de la lettre du manuscrit, ce qui n'est pas très philologique, mais il avait sans doute une irrépressible envie de recoller les morceaux, car dans la lettre à Morice il est écrit, et je reprends la citation faite par Murphy en 1999 : "Mais comme je prétends vous gâter, je vous donne - quel cadeau ! - par-dessus le marché deux quatrains scatologiques (Est-ce le mot ?) dont le premier a longtemps figuré avec la signature Albert Mérat sur un mur du n° 100 du café de Cluny."
Murphy précise que le n°100 est une numérotation convenue pour les "lieux", en particulier dans les hôtels.
Consciencieux, je précise que, et nous pouvons nous reporter au volume de Correspondance générale établi par Michael Pakenham au sujet de Verlaine, celui-ci a écrit le 16 février 1872 à Mérat pour le faire cesser ses calomnies et que le titre d'un poème de Verlaine "Vers pour être calomnié" a tout l'air de viser et le problème Mérat et ces quatrains finalement coiffés d'un titre collectif de construction similaire "Vers pour les lieux". Ce mois de février, Mathilde part à Périgueux, Rimbaud sera bientôt exclu des Vilains Bonshommes à cause de l'incident de trop qui servira aussi à certains de prétexte.
Rapport catastrophique avec Mérat, c'est le cas de le dire avec ces quatrains éparpillés. Vous me direz que nous n'en avons qu'un seul contre Mérat "De ce siège si mal tourné [...]". Mais n'oublions pas le quatrain "Autres propos du cercle" dans l'Album zutique. Il figure sur la même page manuscrite que le "Sonnet du Trou du Cul" transcrit par Rimbaud.
Plus précisément, sur la page zutique, Rimbaud avait initialement reporté le "Sonnet du Trou du Cul", sonnet torché à deux mains, et le quatrain "Lys". A côté, une marge gauche était demeurée où d'autres zutistes ont introduit d'autres obscénités. Il y a un sonnet parodiant Charles Cros avec écho au "Sonnet du Trou du Cul" de la part de Pelletan, parodiant aussi "Lys" avec son printemps d'avril en fleur. Et Valade ajouté en vis-à-vis le quatrain "Autres propos du cercle" qui parodie le sonnet à deux mains inaugural du feuillet précédent "Propos du Cercle", mais aussi la forme de quatrain "Lys" et son obscénité, réplique au passage à Pelletan par fausse signature et il fait écho exprès au "Sonnet du Trou du Cul" lui-même en justifiant l'équivoque sur le titre "sonnet sur un anus" ou sonnet sur un gros porc". En effet, dans "Autres propos du cercle", Mérat apparaît à la rime. La rime est "verrat"::"Mérat". Cela repose une complicité, Valade et Mérat devenant Malade et Verrat par permutation de l'initiale. Et le sonnet se ponctue par le mot "Merde" répété plusieurs fois, sachant que cela renvoie à la clausule attribuée à Rimbaud du sonnet "Propos du Cercle".
Dans ses articles sur le "Sonnet du Trou du Cul", Philippe Rocher a déjà traité ce lien entre "Autres propos du cercle" et "Sonnet du Trou du cul". Il a surtout pensé à un truc très amusant. Le poème "Lys" vise Armand Silvestre et il n'est pas question de lys dans le "Sonnet du Trou du Cul". Mais dans les deux poèmes il y a un jeu sur une idée d'odeur de merde qui ne sent pas la fleur et l'idée la voici, c'est que avec ses "clysopompes d'argent", le quatrain "Lys" à la suite du "Sonnet du Trou du Cul" impose maintenant le lavement à la poésie mératienne, ce que j'ai trouvé très juste d'autant que les lys sont présents en revanche dans les recueils ciblés de Cantel et Mérat.
Mais ce n'est pas fini.
Le quatrain pour les lieux que j'ai cité, appréciez son début, il est démarqué du quatrain "Autres propos du cercle" de Valade : "Dans ce taudis sombre où le blond Jacquet se sert de / Tapis infects ainsi que de mouchoirs (verrat / Hideux)" inspire bien ceci : "De ce siège si mal tourné / Qu'il fait s'embrouiller nos entrailles[.]" Avouez que vous ne vous attendiez pas à ce que soit relevé ici un intertexte pour un des quatrains de "Vers pour les lieux". Et bien le voilà, et là, on voit que les quatrains pleuvent bien en série sur le pauvre Mérat. Précisons d'ailleurs le jeu cruel des deux rimes du quatrain de Valade : "se sert de", "verrat", "Mérat", "merde", puisque "Mérat" fait rime à "verrat", mais fait aussi écho à "merde". C'est autrement plus drôle qu'un quatrain qui aurait donné "Valade", "verrat", "Mérat", "malade" dans ses rimes.
Passons maintenant à "L'Etoile a pleuré rose..."
 Dans notre article collector de la veille, nous avons dit que le titre "Le Sonnet des Voyelles" employé par Verlaine dans Les Poètes maudits pour introduire ledit poème avait le côté formulaire des titres du recueil L'Idole. Nous savons que la suite sonnet plus quatrain du "Sonnet du Trou du Cul" expressément reprise par Pelletan et Valade a été reconduite pour "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose..." Cela s'accompagne de l'idée très sérieuse qu'il y aurait un lien secret entre les deux poèmes zutiques et les deux poèmes réunis sur une page manuscrite du dossier Verlaine.
Or, nous allons avancer en ce sens puisque le quatrain "L'Etoile a pleuré rose...", n'en déplaise à Yves Reboul, associe des couleurs comme "Voyelles" à un blason de la femme ciblant plusieurs parties du corps comme le recueil de Mérat. Et, si Reboul cite avec raison le "Sonnet de l'oreille", nous pouvons être plus précis. L'oreille est de la chair dans "L'Idole" et la mention "coeur" du "Trou du Cul" sexualise l'oreille dans le quatrain "L'Etoile a pleuré rose...", en parallèle au roulement du blanc d'infini, au perlement roux de la mer. Mérat a écrit peu de sonnets, mais un "Sonnet de l'oreille", un "Sonnet de la nuque" et un "Sonnet des seins". Rimbaud reprend les mots "oreille", "nuque" et il opte pour "mammes" au lieu de "seins" à la rime. Le recueil L'Idole est bien le lieu d'emprunts effectués par le quatrain "L'Etoile a pleuré rose..." Quant aux mots "reins" et "flancs", ils tournent précisément autour du "trou du cul". Mérat employait "flancs" à défaut de nommer les "fesses" ou le "sexe de la femme", la censure l'en empêchant, la délicatesse aussi sans doute. Rimbaud emploie le pluriel "reins" présent dans le recueil plus libre de Cantel, mais aussi dans "Vénus anadyomène" ou dans le sonnet inversé "Le Bon disciple" de Verlaine. Le singulier "flanc" déplace quelque peu ligne, mais le lien est capital avec le recueil L'Idole et précisément les sonnets essentiels à la référence de la parodie du "Trou du Cul".
L'idée des pleurs du cadre extérieur se retrouvent dans la poésie de Mérat ou dans celle de Cantel, nous avons des personnifications érotiques de la Nature que Rimbaud reprend dans son quatrain. D'ailleurs, dans le premier tercet du "Sonnet du Trou du Cul"", Rimbaud reprend l'association de Verlaine dans les quatrains de "vents" et "pleurs" qui font de l'anus une sorte de monde. Les mots "vents" et "larmes", pas plus que "ventouses" ou "larmier", ne se trouve dans l'oeuvre de Mérat. La mention technique "larmier" est d'ailleurs à rapprocher de celle technique des "clysopompes" dans "Lys".
Ainsi, l'idée de l'étoile qui pleure fait aussi partie d'un mode de renvoi et à l'oeuvre de Mérat et à une production zutique antérieure très localisée : "Sonnet du Trou du Cul" et "Lys".
Philippe Rocher envisage des liens entre le "Sonnet du Trou du Cul" et "L'Etoile a pleuré rose...", si ce n'est qu'il part de l'idée que la parodie de Mérat est postérieure, or s'il est question de postérieur le sonnet lui-même est antérieur aux trois compositions "Bateau ivre", "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose..."
Rocher envisage aussi un lien avec les "vents" et "ventouses" du "Bateau ivre".
Nous en arrivons donc à la conclusion que Reboul a raison de penser que "Homme", "saigné noir" et "souverain" impliquent une référence communarde, mais qu'il a tort de rejeter le lien à "Voyelles" et le lien au recueil L'Idole.

Prochainement, tout prochainement, un article sur le monostiche de Ricard. Nous devons rédiger un article respectant certaines limites et nous nous servons du blog pour débrider l'analyse avant de produire une étude plus synthétique de quelques lignes dans notre article sur l'ensemble des contributions rimbaldiennes à l'Album zutique.
Ne vous éloignez donc pas !

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