mardi 1 août 2017

Compte rendu du livre La Littérature à l'ombre, Sociologie du Zutisme, de Denis Saint-Amand (2012)

Nouveau membre dirigeant de la revue Parade sauvage, Denis Saint-Amand a publié en 2012 dans la collection Classiques Garnier un livre intitulé La Littérature à l'ombre, Sociologie du Zutisme. Ce livre faisait immédiatement suite à une série élevée de publications autour de l'Album zutique. Après cet ouvrage, Denis Saint-Amand a publié avec Daniel Grojnowski  une édition des deux ouvrages en vers collectifs qu'étaient l'Album zutique et les Dixains réalistes, en Garnier-Flammarion, en 2016.
En termes d'analyse littéraire, l'ouvrage de Denis Saint-Amand n'apporte pas vraiment des éléments neufs, il s'agit plutôt d'une synthèse personnelle de tout ce qui a déjà été dégagé. L'originalité de son propos, en revanche, est de définir sociologiquement la nature du Zutisme d'octobre-novembre 1871. L'auteur prétend s'appuyer sur les écrits théoriques de Pierre Bourdieu, Jacques Dubois, Georges Gurvitch ou Eugène Dupréel. Jacques Dubois est d'ailleurs l'auteur de la préface, mais je ne peux guère en parler. En revanche, je suis fortement réservé quant à la pertinence du discours bourdieusien et Saint-Amand lui-même est souvent obligé de conclure que les idées assez communes de Bourdieu érigées en concepts sociologiques s'appliquent mal à un Cercle qui n'a rien fait pour sa promotion. J'ai en effet beaucoup de mal avec ces notions sociologiques qui transforment en discours scientifiques des évidences. Je n'ai aucunement l'impression d'apprendre quelque chose quand Eugène Dupréel distingue un rire d'accueil et un rire d'exclusion, je l'ai toujours su, je n'ai pas besoin d'aller à l'université pour l'apprendre. Dans la première note en bas de la page 70, je relève la citation suivante de Georges Gurvitch, une définition de ce qu'est un groupe tirée de son Traité de sociologie : "le groupe est une unité collective réelle, mais partielle, directement observable et fondée sur des attitudes collectives continues et actives, ayant une œuvre commune à accomplir, unité d'attitudes, d’œuvres et de conduites qui constitue un cadre social structurable, tendant vers une cohésion relative des manifestations de la sociabilité". Plaît-il ? Cela ne veut rien dire d'autre pour moi qu'un groupe est un groupe. La définition n'est qu'un essai assez aventureux pour décrire des aspects de la notion de groupe, mais c'est pour moi aussi gratuit que de dire qu'une chambre est une unité réelle, mais partielle, directement observable et fondée sur un cloisonnement objectif et statique, ayant une fonction au sein d'une unité réelle plus grande, également partielle, mais l'englobant, etc., etc." De ces synthèses, Denis Saint-Amand tirent des conclusions, mais elles ne doivent rien à aucun moment à des concepts sociologiques, ce sont des conclusions qui auraient pu venir sous la plume d'un Diderot, d'un Montaigne, etc., etc.
La sociologie apporte peut-être un balisage, mais on va voir que les présupposés sociologiques du balisage posent eux-mêmes problème.
Le livre est divisé en trois parties : composition sociale du Cercle et genèse du groupe, puis Modes de fonctionnement du groupe, et enfin analyse des textes eux-mêmes en fonction d'une réflexion sociologique sur le Zutisme même.
Le titre de l'ouvrage est "La Littérature à l'ombre", il s'agit d'étudier un paradoxe, celui d'une cercle littéraire qui n'a pas voulu se faire connaître. Dans son "Prélude" précédé d'une épigraphe significative, quatre vers de "Bannières de mai" dont citer au moins ces deux derniers : "Mais moi je ne veux rire à rien / Et libre soit cette infortune", Denis Saint-Amand insiste abondamment sur le fait que personne n'a jamais rien dit du Cercle du Zutisme avant qu'on ne retrouve cet album en 1932. Charles Cros avait créé un cercle à ce nom en 1883, mais il n'avait même pas rappelé l'existence d'un cercle antérieur, semble-t-il. C'est cette singularité que met en avant Denis Saint-Amand, et une des phrases à retenir de son ouvrage apparaît dès le début, à la page 12 : "Fait important à noter d'emblée : cette écriture ne circule pas ; contribuant en cela à fermer le Zutisme sur lui-même et à le distinguer par avance des petits collectifs fumistes de la décennie suivante, qu'il annonce pourtant largement."
J'apprécie que la différence de nature de ce Zutisme avec les cercles d'Hydropathes, d'Hirsutes, du Chat noir, etc., soit posée. Malheureusement, le livre va lâcher le fécond travail de comparaison entre ces groupes, tout comme il ne travaillera pas du tout à comparer le Zutisme aux ateliers de peintres de l'époque, aux cafés, à la vie de bohême, à l'évolution du salon aristocratique de l'époque romantique aux formes de beuveries de groupes qui progressent rapidement avec les nouvelles générations, ce qui aurait été normal au plan de l'analyse sociologique.
Mais, le problème fondamentale, c'est que le Zutisme est finalement assimilé, sans que ce ne soit posé avec une nette précision, à un mouvement similaire au Parnasse. Le Zutisme serait un mouvement de littérature non consacrée à la différence du moindre des cénacles de petits romantiques, et c'est à cette aune que les critères bourdieusiens semblent devoir échouer à rendre compte d'une réalité de cercle inscrit dans une époque, le Zutisme "échappant à la stratégie généralement impliquée par les lois de positionnement et de luttes dans le champ littéraire". La difficulté d'appliquer les critères bourdieusiens revient souvent dans ce livre et devient l'étendard justifiant l'originalité de l'étude : le Zutisme est un cercle à rebours des aspirations normales de tout mouvement littéraire, il cherche à se faire ignorer, il cherche "l'ombre".
Mais la problématique est-elle bien posée ?
Le Zutisme est-il, comme il est dit dans le "Prélude" de l'auteur, "réfractaire à toute émergence dans le champ littéraire de son époque" ? S'agit-il d'un groupe d'avant-garde, comme il est rappelé à la page 88, pour considérer une énième fois que les critères de Bourdieu ne s'appliquent pas à son cas vraiment particulier ? Ce groupe ne cherche pas le profit, une loi de Bourdieu rappelée à la page 67, par exemple. Saint-Amand compare à la page 62 le Zutisme au surréalisme, est-ce que ce sont pour autant deux réalités comparables ? Un peu plus loin, page 73, il est affirmé que, non seulement, le projet du Zutisme est "distinct de celui du Panrasse", mais il serait encore "complètement antagoniste" du fait de son autodérision et aussi, c'est Saint-Amand qui parle, à cause "de l'aveu de non-sens de l'entreprise". Et c'est à cette page 73 qu'on assiste à un éclairage sur la citation initiale de "Bannières" de mai, puisque nous lisons en conclusion d'une sous-partie le propos suivant où la désillusion est associée aux formes de désintérêt et mépris du mot "zut" : "l'aveu de non-sens de l'entreprise, sorte de prise de conscience inhérente à ce zut, souvent associé au désintérêt et au mépris, mais qui tend également, dans certains cas, à exprimer la désillusion." La citation complète des quatre vers de "Bannières de mai", donnons-la à la suite : "Rien de rien ne m'illusionne : / C'est rire aux parents qu'au soleil ; / Mais moi je ne veux rire à rien / Et libre soit cette infortune."
Les réflexions peuvent donner l'impression d'être justes. Le lecteur ne ressentira peut-être qu'une légère incertitude diffuse. Cependant, je voudrais apporter ici ce que je crois être un important rectificatif.
Qu'est-ce que le cercle du Zutisme ? Ce n'est pas un mouvement littéraire, ni un mouvement politique ou artistique. Ce n'est pas non plus un phénomène mondain comme le seront les Hydropathes, les Hirsutes ou le Chat noir.
Denis Saint-Amand entrevoit une partie de la solution quand il pose nettement que le Zutisme s'explique par la situation historique. Nous venons de vivre une guerre franco-prussienne et surtout une Commune de Paris. Les "options politiques" sont un axe de lecture important du travail de Saint-Amand qui montre bien que l'essentiel des membres du groupe a des sympathies communardes, et Saint-Amand précise encore avec justesse et raison que seul Mérat dénote dans cet ensemble. Seul bémol, notre auteur s'imagine que Mérat a probablement été congédié du groupe, avis que je ne partage pas et que rien ne permet d'accréditer, il n'y a aucun indice en ce sens, aucun témoignage, aucun document.
Revenons donc sur cette situation. Avant la guerre, les cercles littéraires se nouaient sans que les divergences politiques ne soient complètement ou systématiquement rédhibitoires. Une fêlure existait déjà entre les républicains, à cause de juin 48, mais cela ne portait pas à conséquence dans les relations littéraires. Après la guerre, il en va différemment, mais les ruptures ne sont pas déclarées pour autant. Certains anciens communards cherchent à minimiser leur rôle du temps de la Commune, y compris certains zutistes, les Cros, André Gill, comme il est rappelé dans le livre de Saint-Amand d'ailleurs. Verlaine et Rimbaud fréquentent le dîner des Vilains Bonshommes en même temps que se crée l'éphémère Cercle du Zutisme. Tout cela, Saint-Amand ne l'ignore pas, mais là où son analyse est en défaut, c'est que le Zutisme n'est pas un projet littéraire, un mouvement au sein d'un mouvement plus vaste. Rimbaud et Verlaine vont poser sur une peinture qui réunit des Zutistes, mais aussi des Vilains Bonshommes comme Ernest d'Hervilly, Emile Blémont et Jean Aicard qui lanceront une nouvelle revue à laquelle Verlaine et Rimbaud étaient associées, ce qu'attestent les publications de quelques poèmes dans cette revue, et sans l'incident Carjat et les problèmes du couple Verlaine, sans le départ en Belgique ensuite, il est certain que le projet littéraire aurait été la participation à la revue La Renaissance littéraire et artistique. Ce fait nous oblige à réviser l'idée d'un mouvement du Zutisme. En réalité, avant la guerre, il était loisible lors du dîner des Vilains Bonshommes de commettre des facéties du genre de l'Album zutique, ce modèle prime sans doute même sur l'album des amis du salon de Nina de Villard. Coppée lui-même était convié à participer à l'élaboration de cet album qui se faisait qui plus est en présence de Banville et d'autres. Or, en septembre 1871, le dîner des Vilains Bonshommes a un caractère mondain qui ne permet guère de retourner quand l'heure est si grave à des compositions potaches abondantes, d'autant plus que, paradoxalement, ce sont les auteurs de ces poésies potaches qui sont les plus affectées, en tant que déclarés "vaincus", par la tragédie qui a ponctué l'année terrible, les gens hostiles à la Commune pleurant tout le reste, sauf cette conclusion meurtrière. Du coup, il était plus simple de créer un groupe second qui permettrait de tenir un tel album. Ce projet étant initié par Verlaine au vu de sa correspondance pour l'été 1871, inévitablement ce groupe est dominé par des sympathisants de la Commune avec Mérat pour exception particulière du fait de son amitié avec Valade et du fait aussi que le cercle n'a pas pour vocation déclarée de réunir politiquement les vaincus.
A cette aune, le cercle n'est pas un mouvement littéraire réel avec un projet pris au sérieux et considéré comme neuf. C'est à nuancer à cause de la publication des Dixains réalistes ultérieurement, mais je maintiens que ce n'est pas un franc projet. Ce n'est pas une entreprise avec un aveu de non-sens. C'est une expérience de vie sociale que s'accordent des poètes qui ont une sensibilité d'un côté et qui, de l'autre, ont des capacités d'écriture hors du commun. Je me méfie aussi de l'idée que les poèmes puissent être aussi importants que le reste des écrits de Rimbaud ou Verlaine. Verlaine n'a pas recherché les poèmes zutiques dans les années 1880, même pas discrètement, même pas pour une publication sous le manteau du genre des Amies ou mieux d'Hombres qui contient quand même un sonnet zutique, je précise puisque certains pourraient me rétorquer que ces poèmes n'étaient pas publiables en l'espèce. En réalité, un poète ne décrète pas qu'il va composer un poème génial, puis un poème médiocre, puis un poème génial. C'est à cette aune qu'une oeuvre de génie peut quand même apparaître dans l'ensemble zutique. En revanche, un poète peut quand même avoir différents degrés d'investissement quand il crée, et c'est pour cela que je ne donnerais pas aux œuvres zutiques une importance comparable à celle d'un quelconque poème de Rimbaud ou Verlaine. En revanche, l'Album zutique a son importance dans l'évolution de la poésie rimbaldienne et il ne doit donc en aucun cas subir un refoulement.
Ce sens de la nuance doit prédominer dans l'analyse du recueil et, parmi les nuances, il faut considérer que le Zutisme n'est pas un groupe comparable à un cénacle romantique, ni au groupe des poètes surréalistes, ni à Dada. Ce fut d'ailleurs un groupe éphémère, à peine deux mois, et à ce propos je remarque une énième fois que les rimbaldiens attribuent cette datation à Bernard Teyssèdre, alors même que j'ai une antériorité écrite d'autant plus évidente qu'elle est référencée dans la bibliographie du livre de Teyssèdre. On m'interdit de bouillir et de trouver cela malhonnête, mais quand même : j'ai l'antériorité, point, cela doit être respecté. C'est carrément mes travaux qui ont donné envie à Whidden, Saint-Amand et Teyssèdre d'écrire un livre ou de diriger un ouvrage collectif ou d'éditer l'Album zutique, c'est une réalité de fait, il va falloir le dire à un moment donné. Enfin bref ! Pour revenir à la sociologie du Zutisme, l'ouvrage de Saint-Amand demeure intéressant, mais il y a un problème de cadrage, une importance trop grande est donnée à l'initiative du cercle du Zutisme, et c'est ce qui rend savoureuses les nombreuses inadéquations avec les propos de sens commun déguisés en théorie par Bourdieu. Saint-Amand est d'ailleurs amené à souvent insister sur le caractère "convivial" de l'expérience et il exploite alors assez vaguement un concept de "communauté émotionnelle" qui seul conviendrait pour définir le groupe littéraire du Zutisme, à une exception près l'absence de chef, car en sociologie le concept de "communauté émotionnelle" suppose un chef, un meneur ou un modèle qui émeut, qui sert de vecteur à l'émulation générale. En fait, le Zutisme ne se distingue d'une expérience anonyme de réunions pour s'amuser avec un projet artiste et potache que dans la mesure où il est animé par des poètes et personnalités de premier plan. Et pour ces auteurs, le Zutisme n'est pas clairement une forme de concurrence au mouvement parnassien, alors même qu'il va le devenir sans qu'ils ne s'en rendent nettement compte. Car, oui, il y a eu une socialisation progressive de l'expérience zutique avec ses obscénités. Et Rimbaud était sans doute le plus conscient de ce fait dans la mesure où il avait déjà osé composé et offrir à son professeur un sonnet Vénus Anadyomène, entre autres, dans la mesure encore où dans Les Poètes maudits figurent des poèmes qui sont visiblement très proches du Zutisme, "Oraison du soir" et "Les Assis" (je pense au "membre" du dernier vers), deux poèmes auxquels ajouter "Les Chercheuses de poux" qui ciblent Catulle Mendès.
Je ne pense pas que le manuscrit zutique soit l'oeuvre de poètes réfractaires à la publicité, ni une oeuvre qui appelle l'ombre. Tout cela est conjoncturel, ce n'est pas du tout une stratégie littéraire paradoxale, et c'est l'erreur qui parcourt pour moi toute l'étude de Saint-Amand.
Je ne vais pas revenir sur ce que ce livre sur la "sociologie du Zutisme" dit d'intéressant sur les cursus scolaires, les professions, les origines géographiques, l'âge et le positionnement générationnel des Zutistes. Je ne vais pas revenir non plus sur l'étude des lieux de réunion antérieurs au Zutisme qu'étaient le salon d'Antoine Cros, le salon de Nina de Villard et le dîner des Vilains Bonshommes. Tout cela est intéressant à lire tel quel et non à résumer. Je voudrais cependant revenir sur certains points qui ne me convainquent pas. Coppée et Ricard, par exemple, sont écartés d'évidence de l'entreprise zutique, je trouve cela quelque peu discutable dans le cas de Ricard. Ricard n'a pas le profil zutique, mais son exclusion ne va pas pour autant de soi comme ce l'est pour Coppée. Le cas se pose aussi pour Catulle Mendès. Son livre n'est pas qu'hostilités contre la Commune et il ne se différencierait pas tant que ça d'Albert Mérat au plan politique. Mais, plusieurs indices laissent à penser qu'il y a eu un problème entre Mendès et Rimbaud à cette époque. Mendès n'a pas été en relation étroite avec Rimbaud, et on peut penser que Mendès était avec Mérat une des personnes fortement hostiles à Rimbaud entre l'entrefilet de Lepelletier sur une soirée à l'Odéon en novembre 1871 et les bruits sur l'homosexualité de Verlaine auprès de la belle-famillle Mauté de Fleurville, on sent qu'il nous manque une histoire, mais que le roman à clefs de Félicien Champsaur est là pour nous dire qu'il y a quelque chose encore à débusquer. Je ne peux pas non plus prendre pour argent comptant un rappel biographique fondé sur le témoignage de Delahaye, il n'a jamais été prouvé que Verlaine a reçu par lettre ou par lettres des "vers recopiés par Delahaye". Le témoignage est même incohérent par rapport aux progrès de la recherche rimbaldienne. Enfin, à plusieurs reprises, il est question de Gustave Pradelle en tant que membre avéré du Cercle du Zutisme, alors que ce fait est contesté dans mes écrits, mais aussi dans le livre de Bernard Teyssèdre. Là, c'est une négligence qui ne passe pas. J'ai expliqué que Charles Cros avait selon toute vraisemblance recopié un poème coécrit avec ce Vilain Bonhomme Pradelle, en pariant que le poème figurait déjà dans le "feu Album des Vilains Bonshommes", tandis qu'une lettre inédite de Charles Cros publiée en tête du livre de Teyssèdre apporte la preuve que Pradelle n'a pas rencontré Rimbaud au sein du Cercle du Zutisme en octobrre-novembre 1871.
Pour ce qui concerne les acteurs, Saint-Amand s'intéresse à un point qui moi-même me fait méditer. En effet, vu qu'il existe des zutistes moins connus, il est intéressant de chercher qui est ami de qui, et Saint-Amand souligne bien l'importance d'un côté des relations de Verlaine, homme particulièrement sociable, et de l'autre des trois frères Cros. L'étude de Saint-Amand ne va pas jusqu'au bout sur ce point, alors que ce serait vraiment intéressant. Par exemple, Mercier et Keck sont sans doute des proches des trois frères Cros, avec une liaison plus précise entre Keck et Cabaner. Le Jacquet est selon toute vraisemblance un proche des Cros, lui aussi. Il faudra que je relance sur Gallica une recherche par mots clefs "Achille Jacquet Zut", parce que j'avais découvert, mais je n'en ai plus la référence, un passage où Achille Jacquet aimait dans un voyage à dire "Zut"! Pour Miret, outre qu'à cause du "J. M." du premier novembre sur le manuscrit zutique, j'ai songé à une orthographe fautive pour "Jules Mirès", je me dis que son travail de journaliste pourrait être à rapprocher de Camille Pelletan. Camille Pelletan n'est pas présent dans le poème inaugural, mais ce serait la même personne qui aurait introduit et ce "Miret" et Camille Pelletan. Par élimination, on pense soit à Valade, soit aux trois frères Cros. J'engage Valade parce que, à la différence des Cros, il figure sur le "Coin de table" de Fantin-Latour, c'est même le seul zutiste autre que Rimbaud, Verlaine et Pelletan. Je pense qu'il ne faut pas exclure un progrès dans l'identification des membres du cercle du Zutisme du côté des spécialistes des Cros et de Valade, s'il y en a de ce dernier bien sûr. Cela me paraît logique.
Pour ce qui est de l'essoufflement des rencontres du Cercle, Saint-Amand considère que le projet n'était pas assez fédérateur pour tous, puis il évoque une hypothèse du biographe Jean-Jacques Lefrère selon lequel le bail a pu ne pas être renouvelé à des locataires trop bruyants. Je ne soutiendrais pas cette hypothèse pour des raisons précises. Premièrement, l'essoufflement constaté et daté sur le manuscrit va de pair avec une absence de compositions rimbaldiennes au-delà des deux tiers du mois de novembre 1871 ("Ressouvenir" et non pas "Les Remembrances du vieillard idiot" comme il est dit à un moment donné et par erreur dans l'étude sociologique). Or, le témoignage de Delahaye est plus tardif. Deuxièmement, location ou pas d'un lieu de rencontre, l'Album zutique est un objet facile à emporter. Les transcriptions ne furent pas forcément toutes en ce local, à preuve les interventions ultérieures de Ponchon, Bourget, Richepin, qui au passage ne retiennent guère l'attention de Saint-Amand dans son travail, lequel se consacre vraiment au groupe de 1871 à peu près exclusivement. L'entrefilet de Lepelletier impliquant une moquerie d'un couple Mendès-Mérat se donnant la main par imitation des inconvenants Rimbaud et Verlaine sur la place même de l'Odéon, il me semble que Valade a dû dès le mois de novembre prendre ses distances avec Rimbaud à cause de son ami Mérat qui commençait à fulminer. Je ne parle pas de querelle déclarée avec Valade, mais on sent qu'il y a dû y avoir une sorte de contrôle des actions qui s'est mise en place suite à cet entrefilet. Je pense que c'est la raison de cette fin brutale des contributions au manuscrit, alors même que les réunions avaient encore lieu au local de l'Hôtel de Etrangers comme en atteste le témoignage de Delahaye. Et je pense que du coup d'autres créations zutiques ont été perdues, car "Le Bon disciple", les "Vers pour les lieux", les "Immondes", permettent d'envisager que Rimbaud a continué d'écrire dans la veine zutique quelque peu, sauf que tout cela n'est pas heureusement réuni dans le livre d'un sage dépositaire.
Pressé d'écrire, je n'ai pas traité ici de la troisième partie qui s'intéresse cette fois aux compositions zutiques. Il faut donc s'attendre à un petit complément à ce compte rendu.

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