jeudi 12 mars 2015

Les poèmes en vers dans la correspondance de Rimbaud en 1871 (troisième partie)

Si peu de manuscrits de Rimbaud nous sont parvenus pour la période novembre 1870 – avril 1871, la principale explication tient dans la dissolution du lien entre Rimbaud et son professeur Izambard. L’enrôlement d’Izambard comme sergent-éclaireur a entraîné une rupture provisoire de la correspondance entre les deux hommes, mais, quand les échanges ont repris (la lettre du 13 mai est là pour l’attester), les deux correspondants, qui ne s’étaient pas revus et qui ne se sont jamais revus, ont commencé à se disputer. Pour la partie manquante de la correspondance, nous en sommes ramenés aux seuls témoignages d’Izambard qui furent dispensés dans des revues et réunis en un volume sous le titre Rimbaud tel que je l’ai connu, ouvrage bien connu des rimbaldiens et plusieurs fois réédité, la publication de 1963 au Mercure de France méritant d’être considérée comme une valeur de référence au plan philologique. L’a priori qui préside à la lecture d’un tel livre, c’est qu’Izambard veut faire profiter ses lecteurs de la relation intime privilégiée qu’il a eue avec le grand poète. Le lecteur ne peut même pas imaginer un instant qu’Izambard aurait peut-être préféré que la poésie de Rimbaud retournât au néant. Grâce au bienveillant enseignant, nous avons connaissance d’autres textes de Rimbaud (versions différentes de poèmes en vers remis par ailleurs à Demeny, lettres personnelles, textes imprimés à Douai, notes, devoir scolaire) et il faut avouer qu’il existe une contribution intéressante d’Izambard au plan de l’approche des textes rimbaldiens. Par exemple, Gérald Schaeffer, auteur d’une étude importante sur les lettres du voyant, considère un peu vite que la lecture par Izambard de la lettre du 13 mai qui lui a été adressée est trop en-dessous du texte. Que ce soit au plan biographique ou au plan de la compréhension des textes, la lecture du livre d’Izambard ne manque pas d’intérêt. Toutefois, il est certain que le professeur s’arroge un droit de regard condescendant sur les productions de son ancien élève. Il est visible qu’il n’a que mépris pour la poésie de Rimbaud et qu’il n’a fait qu’atténuer l’expression de celui-ci avec le temps. Ses critiques étaient rendues plus discrètes derrière le masque officiel d’une acceptation de la consécration posthume. Il faut donc avoir enfin le courage de le dire : Izambard éprouvait une répugnance comparable à l’indifférence de Demeny à l’égard de la poésie de Rimbaud, mais il éprouvait le besoin de se justifier dans la mesure où les biographes et amateurs de Rimbaud semblaient reprendre la dispute contre lui, là où Rimbaud l’avait laissée.
Ce qui ne peut que surprendre à la lecture du Rimbaud tel que je l’ai connu, c’est qu’Izambard ne parle que de ses problèmes. Tout ce qu’il dit de Rimbaud est annexé à un projet de justification, où Rimbaud ne passe que pour un vilain énergumène, dont le potentiel de poète aurait gagné à tenir mieux compte des leçons d’un enseignant aux jugements avisés. Izambard n’a de cesse de montrer que ce poète qu’on encense ne comprenait rien à la politique, ce qui devrait surprendre un peu plus les rimbaldiens puisque les rares lettres rimbaldiennes de 1871 ne développent guère une conversation politique avec Izambard, il doit donc nous en manquer plusieurs et peut-être la lettre du 13 mai nargue-t-elle une réponse du professeur à une lettre politique sentie malheureusement inconnue et perdue désormais. Le professeur est resté l’adulte qui juge un adolescent quasi perçu comme pré-pubère qui n’aurait jamais eu que des jugements à l’emporte-pièce. Le censeur n’a de cesse de rabaisser l’idole jusqu’au détail mesquin, puisqu’il entend même fixer que Rimbaud était mal élevé, toutes manières de discréditer l’image hugolienne attendue d’un poète dont la parole est appelée à élaborer des modèles de sublimation pour la société. Une insensible indifférence aux intentions d’Izambard empêche une majorité de lecteurs, pas tous !, de considérer que ce livre est bien plutôt un réquisitoire agressif et rancunier contre un poète mal-aimé qu’une contribution à la gloire du poète. La conservation des manuscrits confiés à Izambard participe également de cette illusion. Précisons toutefois que ces manuscrits furent divulgués à une époque où la notoriété de Rimbaud était minimale et confinée au scandale. Les seuls manuscrits et textes que l’enseignant a révélé par la suite ne l’ont été qu’en fonction de polémiques où il espérait emporter le dernier mot. Pire encore, il fait allusion à ses courriers longtemps avant de les révéler et on peut désormais considérer que, loin d’avoir égaré des documents, Izambard a purement et simplement détruit toute la correspondance dérangeante qu’il pouvait avoir eue avec Rimbaud, y compris le manuscrit sans titre « Un hydrolat lacrymal », demeuré du coup inédit, qu’il présente comme un sujet de dispute entre lui et son élève[1].
Ce qu’il dit de la nouvelle Un cœur sous une soutane est significatif à cet égard. Certes, dans sa lettre à Vanier du 20 janvier 1888, Verlaine qualifie ce récit en prose de « bête nouvelle ». Induit en erreur, Van Bever a très mal transcrit ce passage d’une lettre demeurée inédite et il a transcrit Bête nouvelle à la manière d’un titre. Conscient de cette bévue, Pierre Brunel précise bien que la mention « bête nouvelle » est une critique péjorative de Verlaine pour qualifier Une cœur sous une soutane[2]. Mais Izambard va plus loin. Dans sa lettre à Jean-Paul Vaillant du 11 avril 1929, il déclare avoir reproché ce texte à Rimbaud qui le lui aurait remis, le 18 juillet 1870, avec Soleil et Chair et quelques autres poèmes en vers. Nous retrouvons un air bien connu des témoignages d’Izambard : « Autant j’appréciai le reste, autant j’aimai peu ce morceau. Je lui dis que c’était franchement mauvais et peu ragoûtant : je l’engageai à ne pas donner dans ce genre-là, le genre Frère Calotus. »[3] Difficile de ne pas songer aux deux autres critiques rapportées par le même professeur à propos de la version inconnue sans titre « Un hydrolat lacrymal » et à propos du Cœur supplicié. Difficile de ne pas trouver cet enchaînement de critiques négatives comme s’étant probablement déroulé ainsi qu’Izambard en a témoigné, quand on songe au texte de la lettre du 13 mai : « je vous en supplie, ne soulignez ni du crayon ni – trop – de la pensée », ce que complète le « ne vous fâchez pas » de la lettre du 10 juin à Demeny. Izambard insiste même : « Le côté grivois d’un conte ‘libertin’ bien troussé ne m’aurait pas effarouché. Mais ceci n’était que sale et ordurier. Je le lui dis. Il me laissa néanmoins ce manuscrit avec les autres […] ». Le jugement sur les qualités requises d’un poète est patent : Rimbaud commençait à ne pas être reconnu par son enseignant.
Bien sûr, il est visible que le témoignage d’Izambard est partiellement erroné. Il n’a jamais retrouvé de manuscrit de Soleil et Chair en sa possession pour la simple et bonne raison qu’il a dû le confondre avec son manuscrit incomplet du Forgeron. En effet, Izambard croit se souvenir que Rimbaud s’attelait à l’époque à la confection d’un long poème qui lui donnait quelque orgueil. Dans la mesure où Credo in unam a été envoyé par courrier à Banville au mois de mai, il semble évident qu’il s’agit alors de l’autre long poème Le Forgeron dont le caractère incomplet s’expliquerait par l’éclaircissement du témoignage d’Izambard. Celui-ci croit qu’il a attendu la fin de la composition qui lui était annoncée, alors qu’il est plus plausible de considérer que, si le manuscrit est incomplet, c’est que Rimbaud lui a remis un état intermédiaire de son travail, lui promettant une fin prochainement. N’a-t-il pas reproduit ce geste à propos de Soleil et Chair ? Une idée fait dès lors son chemin. Izambard n’aurait jamais conservé de poèmes de Rimbaud auparavant et c’est ce jour-là qu’Arthur lui aurait remis l’essentiel des manuscrits de textes littéraires qui nous sont parvenus, à peu d’exceptions près. Donc, le 18 juillet, Rimbaud aurait remis à son professeur les manuscrits d’Un cœur sous une soutane, celui incomplet d’un poème en cours d’élaboration Le Forgeron et trois autres poèmes en vers, anciens ou non : A la Musique[4], Comédie en trois baisers et même Ophélie. C’est une possibilité. Toutefois, Rimbaud a encore envoyé par lettre le poème Ce qui retient Nina dans le courant du mois d’août. Dans un tel cadre de compréhension, on en conclut qu’Izambard daignait éplucher les vers et devoirs scolaires ou supplémentaires d’un brillant élève, mais sans prendre la peine de les conserver et recueillir. Seul un devoir avait retenu son attention, ce qui enfermait Arthur dans un projet scolaire, d’autant qu’une version d’Ophélie est le seul poème manuscrit qui ait pu être remis à Izambard du temps de la lettre à Banville. Seul A la Musique a pu être remis ensuite au mois de juin, à moins de supposer que la publication de Comédie en trois baisers ait pris pas mal de temps. Rimbaud aurait donc plutôt forcé cette transmission de poèmes dans le courant du mois de juillet et le témoignage d’Izambard a le mérite d’être plausible, puisque, d’une part, Rimbaud n’avait sans doute pas le gros manuscrit de sa nouvelle sous le bras lors de ses deux séjours douaisiens avec étape à Mazas, et puisque, d’autre part, Izambard n’a plus reçu la primeur des nouvelles compositions de Rimbaud en septembre-octobre 1870.
Néanmoins, pour en revenir au dégoût suscité par la nouvelle ordurière, il reste une énigme à expliquer. Izambard a hérité d’un manuscrit du sonnet Vénus Anadyomène daté du « 27 juillet 1870 ». Selon toute vraisemblance, ce sonnet n’a pas été transmis à Izambard en septembre 1870, on peut penser qu’il a été laissé de manière insolente par Rimbaud dans l’appartement, voire la « chambre » du professeur, suite à la visite en ce lieu dont témoigne la lettre du 25 août 1870. Ce serait une réponse à la critique de la nouvelle Un cœur sous une soutane. La colère d’Izambard au sujet de l’obscénité de ce texte pourrait même servir d’explication à un fait important négligé par la critique. Pourquoi Rimbaud n’a-t-il pas transmis une copie de tous ses poèmes à Izambard comme il l’a fait pour Demeny ? Plus que jamais, après notre étude sur la légende du « recueil Demeny », on ne peut pas répondre si facilement : « Parce qu’Izambard ne lui était pas utile à des fins d’édition ». Il est clair que Rimbaud lui a déjà remis des manuscrits pour le plaisir d’être lu et Izambard a revendiqué la connaissance, sinon la possession d’autres textes qu’il supposait tous de 1870 : Soleil et Chair, Bal des pendus, Le Buffet, Les Poètes de sept ans et « Morts de Quatre-vingt-douze… » sous le titre Aux morts de Valmy. Est-ce qu’Izambard a égaré ces poèmes ? Est-ce que les demoiselles Gindre ont hérité d’une copie de ces poèmes, au détriment de Georges ? Remarquons au passage que les rimbaldiens ne se sont jamais intéressés à Deverrière, lequel a certainement joui lui aussi d’une fournée de manuscrits, puisque c’était l’autre grand confident adulte de Rimbaud à l’époque ? Est-ce que Rimbaud a récupéré certains manuscrits en septembre avant d’établir les copies de versions retouchées pour Demeny ? Est-ce qu’Izambard a caché des manuscrits qui comportaient peut-être des choses plus compromettantes que des vers ? Toujours est-il qu’on aimerait bien avoir une version de Ma bohême ou du Dormeur du Val remise à Izambard, car pourquoi Rimbaud n’a-t-il fait don d’aucun manuscrit à son professeur, alors qu’ils vivaient sous le même toit ? On peut parier que la psychologie enfante de Rimbaud a dû se soumettre aux raisonnements des adultes : Rimbaud reverrait certainement Izambard à Charleville, le don de copies à son égard n’était pas pressant. Qui plus est, Rimbaud a dû consommer pas mal d’encre et de papiers : brouillons, copies personnelles inconnues et copies remises à Demeny, sans parler des lettres éventuelles portant sur d’autres sujets et des frais d’hébergement. Mais, l’absence de manuscrits nouveaux en la possession d’Izambard témoigne nettement désormais d’un manque d’empressement et de sollicitation de la part du professeur, fait d’une importance conséquente qu’il convient de bien mesurer.
Peu importe qu’Izambard ait découvert son manuscrit de Vénus Anadyomène lors de son retour à Charleville début-octobre ou à un autre moment, ce qui est certain, c’est que la nouvelle Un cœur sous une soutane a forcément eu des conséquences graves dans la détérioration de toute une relation de confiance établie entre le professeur et l’élève. Ce conflit a pu confirmer certains choix poétiques sulfureux du Rimbaud à venir, mais, désormais, il n’était plus question pour Izambard d’apprécier la poésie de Rimbaud, ce que confirment lourdement les aveux parfois involontaires de l’ensemble de ses témoignages ultérieurs. Et nous en revenons dès lors à un passage étonnant de la lettre à Jean-Paul Vaillant. Izambard va faire endosser à Verlaine la volonté de destruction d’une œuvre alors inédite de Rimbaud, la seule composition artistique inédite qu’ait jamais divulgué Izambard, Un cœur sous une soutane : « Il la trouva, comme moi, peu digne de Rimbaud, émit l’idée que je ferais mieux de la supprimer… Sur ce point, je fis mes réserves. Je pouvais bien, sans lui donner aucune publicité, la conserver pour moi, pour moi seul, dans ‘l’Enfer’ de mes tiroirs. Je la lui laissai néanmoins, avec mes autres autographes, pour qu’il pût lire le tout à loisir. » A l’en croire, Verlaine aurait prétendu détruire une œuvre dont, en même temps, il sollicitait le prêt : il aurait souhaité la destruction d’une œuvre qu’il n’aurait pas encore pu lire « tout à loisir ». Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’Izambard est un manipulateur qui, d’une part, exagère le dédain pourtant réel de Verlaine à l’égard de cette nouvelle et qui, d’autre part, tait ce que son récit maladroit trahit, à savoir que, lors de cette visite initiale, seul celui qui présentait le texte obscène dans les grandes lignes a pu encourager Verlaine à se sentir prévenu contre lui.
Désormais, il est difficile d’en douter : les témoignages d’Izambard sont plausibles. Il a dénoncé avec constance la poésie ordurière de Rimbaud. Celui-ci a commencé à négliger d’envoyer ses nouvelles productions à Izambard et quand il en a été question il semble s’être spécialisé dans l’envoi exclusif de pièces provocantes : Vénus Anadyomène, Ce qui retient Nina (poème qui ne se prive pas d’allusions scatologiques), « Un hydrolat lacrymal », Le Cœur supplicié. Peu diplomate, Rimbaud a dû vouloir plier Izambard à ses raisons. Enfin, quand Izambard se permet d’attribuer à Verlaine une volonté de destruction du texte Un cœur sous une soutane ou quand il évoque la possibilité de ne jamais faire étalage publiquement du document inédit, il donne la mesure de ce qu’il est capable de considérer comme légitime de faire en son cas : détruire une œuvre incommodante. Purement et simplement, Izambard n’a pas révélé l’intégralité dérangeante des lettres qu’il possédait de Rimbaud, il les a sans doute même détruites avec notamment le manuscrit d’une version sans titre du poème « Un hydrolat lacrymal » devenu Mes Petites amoureuses, poème au sujet duquel il est trop précis que pour paraître… (et c’est un paradoxe !) mentir. A une telle distance des faits, il se rappelle une version sans titre de ce poème, c’est une belle prouesse dont penser qu’elle a été facilitée par la consultation directe de la lettre en question !
Nul égarement de notre part à revenir ainsi sur les poésies et événements de l’année 1870. Certes, nous semblons revenir avec une conclusion maigre et somme toute rassurante : nous n’aurions peut-être perdu qu’un seul manuscrit de poème en vers du côté d’Izambard. Ceci dit, nous sommes amenés à établir une compréhension neuve des lettres rimbaldiennes de 1871. Trois poèmes remis à Demeny sont étroitement liés à une polémique profonde et violente qui opposait Rimbaud à son ancien professeur : Mes Petites amoureuses, Le Cœur du pitre et Accroupissements. Izambard a revendiqué justement la connaissance d’une version antérieure du premier de ces trois poèmes, nous connaissons sa version antérieure du second, à savoir Le Cœur supplicié, et nous savons que, qu’il en ait eu connaissance ou non par un don de Rimbaud, le contenu du troisième est assimilé dans une lettre à Jean-Paul Vaillant à l’obscénité de la nouvelle Un cœur sous une soutane. Dans les trois cas, Izambard déclare avoir marqué ou devoir marquer sa réprobation d’une façon similaire. Et dans le cas de « Un hydrolat lacrymal », Izambard prétend avoir formulé comme reproche à son élève une lecture superficielle de Rabelais, sans s’apercevoir qu’il laisse deviner une motivation ironique d’une phrase osée de la lettre à Demeny du 15 mai 1871 : « Encore une œuvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean lafontaine, ! commenté par M. Taine ! » Et cet « odieux génie » n’est autre que Musset, cible intertextuelle du dernier poème de 1870 remis à Izambard Ce qui retient Nina et du premier des deux seuls poèmes qui semblent avoir été remis au même professeur en 1871 Mes Petites amoureuses ou sans titre le dit « Un hydrolat lacrymal ». Il y aurait peut-être à méditer sur une dispute autour de Musset pour expliquer cette reprise de Nina aux Petites amoureuses !  
Il faut avouer que lire la lettre du 15 mai à Demeny en fonction d’une colère provoquée par Izambard ne manque pas d’intérêt. Le professeur revendique l’envoi d’une lettre où il serait question d’un similaire panorama de toute l’histoire de la littérature, où une même liste des grands auteurs défilerait devant nous. Est-ce par malveillance qu’Izambard parle d’initiation proche d’un Leconte de Lisle avec cette résonance indienne Sâkya-Mouni ? C’est possible, quoique cela ressemble à la raillerie facile à l’égard des imitateurs du grand Parnassien telle qu’on la rencontre dans Le Petit Chose d’Alphonse Daudet. Comment expliquer cette étrange symétrie entre la présence de l’onomatopée « Pouah » dans Mes Petites amoureuses et sa reconduction invérifiable dans des citations, supposées de mémoire, de la part d’Izambard : « Racine ? peuh ! Victor Hugo ?... pouah !... Homère ? Homère !... » ? Les solutions sont désormais dans la tombe. Ce qui est certain, c’est qu’il nous manque une partie de la correspondance entre Rimbaud et Izambard. La lettre du 13 mai reprend une discussion interrompue. L’adulte de l’époque évoque une dispute qui, puisqu’elle le dérangeait, pouvait être tue. Si Izambard se trahissait en ne pouvant s’interdire d’en parler, c’est bien qu’une dispute violente avait réellement eu lieu à travers leurs courriers. Il est clair que, dans ses publications, Izambard ne réglait pas des comptes pour les deux fugues de Douai, il réglait des comptes pour des insolences dont la lettre du 13 mai ne peut en aucun cas passer pour le témoignage suffisant. Comment Izambard pouvait-il savoir que Rimbaud admirait tout des poncifs de la Commune, si quelques autres lettres ne manquaient à l’appel pour étoffer le maigre dossier qui nous est parvenu ? Même s’il a pu croire ou laisser croire que la lettre qu’il dit « littératuricide » contenait Le Cœur supplicié, ce qui était inexact, Izambard a toujours soutenu que cette lettre avait existé, finissant par l’associer à un envoi de vers qu’il a toujours revendiqué, celui du poème « Un hydrolat lacrymal ». Une, deux ou quelques lettres ont dû disparaître de la correspondance des deux hommes avant le 13 mai 1871. A la fin de sa vie, pour contrecarrer Berrichon qui savait pertinemment qu’une dispute réelle avait eu lieu, Izambard a voulu revenir sur son affirmation initiale selon laquelle Rimbaud avait cessé de lui écrire en mai 1871. Il a exhibé miraculeusement une lettre en lambeaux fort problématique datée du « 12 juillet 1871 », lettre sur laquelle Jacques Bienvenu envisage une théorie stimulante dans un article intitulé "Une étrange lettre" de son blog Rimbaud ivre. Mais ceci ne règle pas les zones d’ombres, puisque la lettre mutilée de juillet ne livre pas les réponses au sujet de la querelle qui a été clairement exposée dans la lettre du 13 mai, puisqu’elle n’explique pas les raisons qui font que, dans tous les cas, après le 12 juillet, Izambard cessa d’exister pour Rimbaud. Surtout, la liste d’ouvrages évoqués dans la lettre du 12 juillet 1871 fait songer au témoignage d’Izambard qui précisait auparavant, dans son célèbre article de 1911 pour Vers et prose (fin de section IV), qu’il détenait une liste écrite des livres de Rimbaud qu’il avait en dépôt en novembre 1870, ce qui affaiblit l’idée qu’il ait jadis égaré cette précieuse lettre témoin.
Par conséquent, l’humeur d’Izambard qui se manifeste dans son livre Rimbaud tel que je l’ai connu peut beaucoup nous en apprendre sur l’état d’esprit des lettres et poèmes de Rimbaud en 1871. Nous découvrons le mur face auquel se construisait un poète encore isolé. Il s’agit d’une perspective trop négligée jusqu’à présent et nous pourrions prochainement proposer un compte rendu critique de tout ce qu’a publié et diffusé Izambard au sujet de Rimbaud. Ce travail risque d’être rendu complexe, non seulement parce qu’il y a eu des omissions, non seulement parce qu’il reste délicat de départager la part du mensonge ou celle des déformations du souvenir, mais aussi parce qu’Izambard a créé des réponses fictives en fonction des nouveaux contextes. Epluchés notamment par Steve Murphy, les brouillons et manuscrits trop tardifs des prétendus poèmes qu’Izambard aurait envoyés à Rimbaud ont prouvé qu’Izambard réinventait les réponses qu’il avait faites à son élève. L’enseignant commettait l’erreur d’associer à ses vers l’allusion anachronique au mouvement des poètes « décadents », tandis que les poèmes qu’il commettait témoignaient d’une influence passivement subie de nouvelles audaces métriques qui ne devinrent courantes que dans les années 1880, sans prendre conscience que ni Rimbaud, ni Verlaine eux-mêmes n’avaient encore mis au point ce nouveau régime du vers en 1871. En effet, comme je l’ai déjà plusieurs fois signalé à l’attention dans mes interventions sur le net, dans La Muse des méphitiques, Izambard mélange les césures normales après la quatrième syllabe à d’autres après la cinquième syllabe, ce qui veut dire qu’il imite les césures de Tête de faune telles qu’elles étaient comprises et banalisées par d’un côté Verlaine, de l’autre les décadents à la fin des années 1880 :
Vois-tu le bourgeois /5/ baveux qui s’offusque /5 avec rejet d’épithète/
Se cramponner /4/ d’horreur à son comptoir /6 avec rejet du COD/

 L’étrangeté vient de ce que ce vers qui revient tel un refrain : « Vois-tu le bourgeois baveux qui s’offusque » est le seul dans le poème à ne pas respecter la conformation des césures du décasyllabe littéraire en hémistiches de quatre et six syllabes ! Toutefois, une autre strophe manuscrite du poème présente encore un « e » féminin à la césure : « Bouche à bouche, Muse des méphitiques », à proximité d’une césure plus parnassienne cette fois mais audacieuse quand même sur déterminant : « Pâmé sur tes lèvres épileptiques » ! Le mot « épileptiques » étant une reprise d’un mot à la rime du poème Les Assis dont nous ignorons si Izambard en a connu la primeur manuscrite, l’imposture est évidente ! Un article de Jacques Bienvenu intitulé "La Muse des méphitiques" propose une réflexion qui va dans le même sens et qui aboutit à la même conclusion ! Ajoutons que le vers du poème Le Baiser du faune : « Et qui lui fait monter des baisers fous aux lèvres », identifié notamment par Pierre Petitfils au prétendu vers qui aurait servi de patron pour corriger le vers final sulfureux d’A la Musique dont disait se souvenir Izambard ! « -Et des désirs brutaux s’accrochent à mes lèvres ! », par celui que nous connaissons seul légitime aujourd’hui : « - Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres… », ce vers est peut-être lui aussi une imitation tardive du vers final d’A la Musique, l’anecdote étant elle-même suspecte et peut-être appuyée sur un souvenir qui confond les corrections imposées à un tout autre poème de désir Trois baisers pour lequel nous avons des variantes qui attestent du travail de censeur d’un adulte quant à la version publiée dans La Charge ! Le poème Le Baiser du faune a tout l’air de s’inspirer conjointement des expressions des poèmes A la Musique et Tête de faune avec leurs similitudes de préoccupations érotiques !
 Mais il y a pire encore que ces impostures et que ce manque de lucidité quant au génie de Rimbaud : Izambard n’avait donc même pas conscience du rôle joué par Verlaine et Rimbaud dans cette évolution métrique qu’il singe comme du moins que rien, et un article tardif intitulé Licences poétiques de Verlaine témoigne du philistinisme d’Izambard qui n’arrive pas à comprendre que, quand Rimbaud cite le vers des Fêtes galantes : « Et la tigresse épou/vantable d’Hyrcanie », c’est bien pour sa césure, en plagiant un entrefilet de journal, et non pour se complaire dans le rappel vague d’un vers obscène des Poëmes saturniens : « Son haleine puait épouvantablement. » En essayant de rabaisser Rimbaud dans la complaisance ordurière, le malveillant Izambard se discrédite tout seul. Notez bien à quel point nous retrouvons la constante critique d’Izambard qui associe sommairement l’expression brutale du sale à un mauvais goût poétique.
L’enseignant prétend que, pour son premier article, Lepelletier, ami de Verlaine qui n’aimait pas Rimbaud, a supprimé les parties élogieuses. Mais où sont les éloges dans le livre d’Izambard ? Jugeons plutôt du véritable palmarès de ce premier article par la citation de quelques fragments significatifs : « Un jour, le poète Verlaine a l’idée de publier [autrement dit : « a eu la lubie de publier »] une première série… », « sur le vu de ces vers très bizarres, voilà Rimbaud adopté par une poignée de jeunes », « le côté ‘bête curieuse’ de sa personnalité », « je n’accepte pas sans réserve cette silhouette de poète fatal […], et je demande à faire la part, pour ceux qu’il intéresse, de ce qu’il y a d’adventice, de convenu, et aussi de malicieusement gamin dans son œuvre. » Et cela continue : « Il s’y déclarait, le petit bonhomme, […] », « il n’avait foi qu’en lui-même », « un pâle spécimen de l’évangile attendu », « Ce qu’il y fut reçu, dans le giron, l’enfant prodigue ! », « revenu des apothéoses précaires », etc. Izambard croit pouvoir citer les triolets du Cœur supplicié de manière accablante et, reprenant avec ironie le couple adjectival « ithyphalliques et pioupiesques » en l’appliquant aux décadents admirateurs de Rimbaud, il ponctue son article par un procès sans appel, quoiqu’implicite : « les cendres de Rimbaud n’ont pas besoin qu’on les adore, il suffit qu’on les respecte. » Le rhétoriqueur particulièrement pédant Izambard traitera ultérieurement Paris se repeuple de poème « verbeux » et, toute sa vie, il reprochera à son élève de ne pas avoir su écouter ses conseils, comme si, au plan littéraire, le statut de professeur adulte demeurait naturellement supérieur à celui d’écrivain ou poète reconnu. Toute sa vie, Izambard en voudra à Berrichon d’avoir affirmé publiquement qu’il y eut une dispute définitive entre lui et Rimbaud. Or, force est d’admettre que les articles d’Izambard ne sont qu’une longue suite de justifications rancunières, où les seules exceptions ne sont que des moyens de porter le discrédit sur Berrichon, en particulier la réfutation pertinente d’une lecture biographique de Mémoire, la dénonciation des lettres africaines truquées (alors qu’Izambard n’a jamais daigné parler de Rimbaud quand il ne se sentait pas concerné directement) et l’argumentation, au demeurant mal problématisée, qui veut que Rimbaud n’ait pu assister à la Commune, encore que dans ce dernier cas, si nous avons perdu plusieurs lettres d’échange épistolaire avant le 13 mai, ce qui a l’air hautement probable, il devient alors presque mécaniquement indubitable que si cette nouvelle fugue a bien eu lieu, ce fut juste après le 15 mai, quand l’appel des « colères folles » se faisait si pressant.
Certes, Izambard a raison de montrer que le poème Le Cœur supplicié n’a pas été composé au sujet d’un incident hypothétique qui se rattacherait à la discutée présence parisienne du poète à la toute fin de la période communarde. La lettre datée du 13 mai qu’il a reçue de son ancien élève a pu le convaincre que Rimbaud avait alors dû rester à Charleville. Dans de telles conditions, pour Izambard, Rimbaud ne peut pas avoir passé plusieurs semaines à Paris et s’être éclipsé au commencement de la Semaine sanglante. Le seul inconvénient, c’est que nous manquons de connaissances précises sur les lettres échangées entre les deux hommes avant et après le 13 mai. Rimbaud a pu écrire très tôt à Izambard, lorsque celui-ci était cantonné à Abbeville. Il a pu lui écrire avant le 17 avril et après le 13 mai. Toute la difficulté vient de ce qu’on ne peut trancher avec certitude si un échange de courriers houleux a eu lieu entre eux deux dans l’intervalle du 17 avril au 13 mai. La formule : « Vous revoilà professeur ! », de la lettre du 13 mai, indique qu’un courrier tout récent venait d’apprendre au poète communard que son ancien professeur avait été nommé, au début du mois de mai, pour un intérim dans une classe de seconde du lycée de Douai. Les échanges ont très bien pu avoir lieu de février à la mi-avril 1871 et reprendre au début du mois de mai, ce qui aurait empêché Izambard de percevoir la possibilité pour Rimbaud d’une présence parisienne de deux semaines entre le 17 avril et le 13 mai. Egalement, vers le 17 avril, la Commune a bientôt un mois d’existence et Rimbaud a travaillé dans un journal engagé, le Progrès des Ardennes : il a eu tout le temps d’échanger un minimum au sujet de la Commune avec son professeur. C’est alors l’occasion de citer la célèbre phrase de la lettre du 13 mai : « Je serai un travailleur : c’est l’idée qui me retient, quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris, - où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris ! » Ce passage qui annonce l’écriture de Paris se repeuple nous confirme sans appel que Rimbaud soulignait sa totale adhésion communarde dans sa correspondance avec Izambard, mais surtout il semble indiquer que Rimbaud ne s’est pas encore rendu à Paris et c’est ainsi que l’a compris Izambard qui n’a même pas voulu imaginer qu’il pouvait être question d’un second projet de montée à Paris sous la Commune. Or, si Rimbaud veut défier son professeur, à un moment où il ne perçoit pas encore que le sort de l’insurrection est déjà scellé, pourquoi irait-il clamer à son professeur qu’il est allé à Paris, mais qu’il est revenu ? Et surtout pourquoi cet appel des « colères folles » n’aurait-il pas été suivi d’effet, Izambard n’ayant alors reçu de nouvelle réponse qu’en juin, ce qui coïncide avec une fébrile activité comme l’attestent deux lettres littéraires à Paul Demeny et Jean Aicard ? En résumé, la formulation de Rimbaud ne permet pas de refermer l’hypothèse d’une présence communarde. En particulier, on aimerait avoir les dates de toutes les lettres de Rimbaud à Izambard. Si plusieurs lettres ont été échangées entre le 18 mars et le 13 mai, on comprend que la présence communarde semble devoir être exclue par le professeur qui à tort croyait impossible l’accès à une capitale assiégée au-delà du 13 mai. Cependant, on peut se demander si la dispute n’a pas atteint un point culminant entre le 13 mai et le 10 juin, voire en pleine Semaine sanglante, ou bien si elle n’a pas été vive avant le 17 avril. En tout cas, Rimbaud n’a pas parlé de sa présence communarde à Izambard, tandis qu’une aggravation de la fâcherie entre les lettres à Demeny du 15 mai et du 10 juin semble hautement probable.
Maintenant, il n’en reste pas moins que, pris dans une dispute écrite, Izambard a très bien compris que le poème du Cœur supplicié n’était pas un témoignage du poète au lecteur, mais une satire qui prend à partie un lecteur supposé non acteur de son destin. Gérald Schaeffer a eu ainsi le tort de minimiser l’intérêt de la lecture critique de la lettre du 13 mai par son destinataire, puisque celui-ci avait sans doute des éléments d’expertise qu’il n’a pas daigné nous communiquer. Sur le long terme, à une époque où l’étude des textes de Rimbaud était particulièrement désinvolte de la part de tout le monde, l’enseignant a tout de même parfaitement compris que les poèmes Les Poètes de sept ans et Le Cœur supplicié annonçaient métaphoriquement Le Bateau ivre, ce qui a été régulièrement négligé dans le déluge d’observations critiques qui a été proposé pour ces trois textes. Nous pensons également qu’Izambard a parfaitement compris le sens des expressions « poésie objective » et « poésie subjective » sous la plume de Rimbaud, quand bien même Schaeffer croit pouvoir revendiquer une meilleure information lexicale. Enfin, Izambard a perçu la violente attaque satirique du poème à son égard. Plusieurs autres éléments d’analyse sont à retenir, quand bien même le professeur sous-évalue paradoxalement les significations communardes inévitables de la lettre et du poème en contexte, et surtout leur beauté et puissance de conception.
Il est temps de mettre un terme provisoire à notre réflexion. Que peut-on en retenir ? Les poèmes contenus dans les lettres de mai-juin 1871 ont été composés sur plusieurs mois, à une époque où la production rimbaldienne est inévitablement ralentie par les événements. La perte d’une production plus conséquente reste toutefois plausible pour les mois de novembre, décembre 1870, voire pour ceux de janvier ou février 1871. C’est ensuite en juin 1871 que Rimbaud a relu son œuvre de 1870 et qu’il en a détruit ses copies personnelles. Seul le poème Les Effarés a été épargné et Verlaine n’a visiblement pas connu les autres poèmes transmis à Demeny avant que Darzens ne les lui présente. A la limite, Rimbaud a pu faire briller devant Verlaine certains des traits d’esprit de ses anciens poèmes, mais cela sera-t-il jamais contrôlable à la lecture des écrits de Verlaine ? Par ailleurs, il est probable que plusieurs poèmes de la première moitié de l’année 1871 furent sans doute également détruits dès le mois de juin, dont quelques-uns de ceux qui furent envoyés à Demeny (Chant de guerre Parisien, Mes Petites amoureuses), hypothèse importante à considérer. D’autres poèmes n’ont peut-être jamais été apportés à Paris : Les Poètes de sept ans, Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs. Pour ce qui est des destructions de poèmes, celles-ci sont liées en partie à la Semaine sanglante, mais l’indifférence de Demeny et les critiques d’Izambard sont probablement les principales responsables de cette rage de destruction. La réalité du mépris d’Izambard n’est pas une spéculation, elle est prouvée par l’ensemble des articles qu’il a réuni dans son livre Rimbaud tel que je l’ai connu, à condition d’en traquer la part d’aveux ainsi que nous l’avons fait. Surtout, dans cette histoire de correspondance, le rôle de confident de Demeny a été complètement surévalué au détriment du thème central des difficultés de communication sensibles entre Izambard et son élève. L’analyse s’est arrêtée à la surface des échanges épistolaires et ne s’est pas intéressée suffisamment aux problèmes souterrains que pouvaient supposer ces types de relations humaines. D’une part, Rimbaud n’a jamais connu qu’un Demeny tout préoccupé d’une idylle amoureuse, ce dont le poème Roman apparaît à l’évidence comme un témoignage précoce. D’autre part, la critique des convictions communardes de Rimbaud, la répugnance face à une œuvre obscène, tels sont les deux grands massifs de la réaction d’Izambard exprimée rétrospectivement dans ses articles. Pour assurer leur juste perspective aux lettres de 1871, notre étude n’a pas manqué de s’intéresser aux manuscrits remis à Izambard en 1870 et nous avons proposé nos hypothèses, tout en soulignant une mise en perspective clef, celle de la succession des critiques d’Izambard à l’égard des textes Un cœur sous une soutane, « Un hydrolat lacrymal… » et Le Cœur supplicié. Ceci nous a amené à associer les dons des poèmes Vénus Anadyomène et Ce qui retient Nina à une logique de provocation adolescente à l’égard du professeur hostile. Nous avons laissé entendre que cette logique de provocation permettait de rendre compréhensible qu’Izambard n’ait plus guère bénéficié de dons manuscrits à la différence de Demeny. Enfin, cette mise en perspective nous a permis de préciser la lecture du poème Mes Petites amoureuses à partir d’une relation formelle au poème Ce qui retient Nina qui a permis de certifier un renvoi intertextuel à deux poèmes de Musset. Le présent article devrait être prolongé par une étude de la lettre du 15 mai à Demeny en jouant à repérer ce qui sonne comme autant de réponses à Izambard, mais nous nous y attacherons plus tard.
Maintenant, il reste un dernier problème à résoudre. Izambard a prétendu avoir eu connaissance d’une version des Poètes de sept ans, dès le mois d’octobre 1870. Il est allé jusqu’à prétendre que Demeny avait reçu deux copies de ce poème. En réalité, le professeur essaie de sauver la face en une occasion particulière. Marcel Coulon vient de le démentir au sujet du poème Soleil et Chair qui ne peut avoir été composé en juillet 1870, puisqu’une version du mois de mai vient d’être mise à jour dans le courrier de Banville. Obligé d’admettre son erreur dans un cas, Izambard s’est maladroitement défendu dans l’autre. Nous ne croyons pas le moins du monde qu’Izambard ait jamais connu une autre version de ce poème, moins encore qu’il en ait discuté l’intérêt avec Demeny en 1870, 1871 ou à une quelconque autre période de son existence, pas même quand Demeny, Darzens et Izambard écrivaient dans le même journal.
Mais, justement, voilà qu’entre en scène le nom de cet autre correspondant Banville. Intéressons-nous cette fois au cas particulier du destinataire de Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs. Ce sera la dernière étape de notre réflexion philologique sur la correspondance rimbaldienne connue de l’année 1871.
(fin de la troisième partie)


[1] Il n’est pas impossible que Demeny ait pratiqué la même censure. Il peut très bien ne pas avoir divulgué toutes ses lettres. Ce n’est qu’une hypothèse, faible dans ce cas douaisien.
[2] Pierre BRUNEL : (éd.) Arthur RIMBAUD, Œuvres complètes, Le Livre de poche, La Pochothèque, 1999, p.773.
[3] Izambard cite la corruption du nom « Milotus » en « Calotus » du poème Accroupissements dans l’édition Vanier des Poésies complètes de 1895. On imagine la crise d’apoplexie d’Izambard si Rimbaud lui avait envoyé copie de ce poème le 13 mai comme il l’a fait à Demeny deux jours plus tard, en l’accompagnant d’un « Vous seriez exécrable de ne pas répondre […] ».
[4] Le poème A la Musique date probablement du mois de juin. Il fait allusion à une publicité pour le programme musical du « 6e de ligne » du régiment de Mézières qui allait être donné le jeudi 2 juin au soir, sur la place de la Gare à Charleville. Une polka-mazurka des fifres de Pascal y est annoncée comme devant être suivie d’une « grande valse » dont le nom Aux Bords du Rhin, évidemment belliqueux en contexte, servait à appeler les français à Berlin. Dans sa biographie, Lefrère donne hélas le mauvais document, le programme du dimanche 10 juillet 1870, où la perspective militaire est plus diluée, sans compter que le poème mentionne bien les « jeudis soirs », pas le dimanche. Etrangement, ce document autour du « jeudi 2 juin » met mal à l’aise les critiques rimbaldiens qui prétendent dater ce poème. Nous ne comprenons vraiment pas pourquoi, d’autant que, face à Berrichon qui datait le poème du mois d’août, Izambard avait clairement répliqué sur une note manuscrite personnelle qu’il était de deux mois antérieur à tout le moins, et, effectivement, du 2 juin au 2 août il y a deux mois, du 2 juin au 31 août nous comptons trois mois.

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