vendredi 7 mars 2014

Propos scolaires et prologue d'Une saison en enfer

J'ai eu la chance d'apprendre à lire en Belgique, selon la méthode syllabique ou alphabétique. Il est vrai que je savais déjà lire en troisième maternelle (ou troisième gardienne), mais je me rappelle ma première année primaire, l'équivalent du CP, avec sur le mur de grandes feuilles représentant toutes les lettres de l'alphabet avec en prime les lettres accentuées. Peut-être n'y manquait-il que le tréma ? Le "e" était suivi du "é", du "è", du "ê", et comme le "e" est la cinquième lettre de l'alphabet nous étions très vite arrivés à l'étude de ces graphèmes particuliers. Je me rappelle comme j'étais pressé d'entendre parler des dernières lettres étalées sur ce mur. Je me rappelle aussi que nous étudiions les syllabes diverses et qu'une même syllabe orale, phonétique, ne s'écrivait pas de tant de sortes différentes que ça dans les pires des cas.
A la fin de la classe de première primaire, je savais lire et écrire. Et, j'avais nettement pris confiance en moi au point de feuilleter au hasard du manuel des textes qui n'étaient pas abordés en classe, des textes de la fin même du manuel que je supposais les textes les plus poussés, ceux qu'on étudie après une année de progrès scolaire. Je me flattais ainsi du fait de savoir lire. Jusqu'à la fin de la sixième primaire, l'équivalent de la sixième au collège en France, je découvrais des nouvelles règles en orthographe, mais ce qui me frappait à cette époque-là même c'était combien tout cela était du détail depuis la première primaire. En cinquième primaire, l'équivalent du CM2, je remarquais déjà nettement que la dictée, qui à l'époque était toujours une épreuve surprise sur un texte inconnu, ne demandait aucune préparation. Tout au long de ces six années, j'avais à peu près tout le temps 20/20, une faute de temps en temps. Et je m'empresse de préciser que je suis passé par six classes chacune d'une vingtaine de garçons ou un peu plus, et que le dernier de la classe avait la moyenne, et que pratiquement tout le monde avait 17/20 ou 16/20, ce qui veut dire pratiquement tout le monde avait moins de cinq fautes en dictée sur des textes longs. J'étais dans un institut tout simple dans la ville de Florennes, de simples gens de classes moyennes. Et comme le texte était inconnu, long, et qu'en plus l'instituteur ne prévenait pas, je n'abordais jamais la dictée avec de longues révisions et des exercices préparatoires. Même si mon souvenir peut me tromper sur un point, peut-être que nous savions à l'avance qu'il allait y avoir dictée, mais je suis sûr aussi d'une chose : les dictées n'étaient caractérisées par aucun point grammatical saillant perceptible au jugement de l'élève. Je voyais bien des pièges orthographiques dispersés, mais ils étaient divers, peu présents. Le texte n'avait aucun profil : aucune avalanche de participes, ni d'homophones "ses, ces, ses", aucune conjugaison abondante de subjonctifs ou de passés simples.
J'ai ensuite effectué ma première rénovée dans une école secondaire de Belgique, l'équivalent de la cinquième au Collège, puis je suis venu en France. J'ai reçu des cours de grammaire en quatrième et troisième, puis cela a cessé, puisqu'au Lycée, nous ne faisions plus que de l'analyse littéraire.
Je précise que je n'ai jamais reçu à l'école ou au Collège le moindre enseignement sur l'accord des participes passés des verbes pronominaux. J'ai appris des règles d'accord pour les mots composés, etc., mais les participes passés sont passés à la trappe. En tout cas, si on les a étudiés, cela a dû être vite fait en passant.
Et toujours bien sûr les dictées étaient faites à partir de textes inconnus. En revanche, en France, nous n'étions que quelques-uns à avoir de bonnes notes en orthographe : quelques élèves avaient tout le temps 0/20, mais peu, deux ou trois peut-être.

Aujourd'hui, dans les collèges en France, même avec un public favorisé socialement, les enfants ne savent ni lire aisément, ni écrire correctement en respectant au moins les règles générales. Le premier de la classe en orthographe n'a, sans exagération, pas souvent le niveau de la classe du cancre d'il y a trente ans dans les classes primaires que j'ai connues en Belgique. Et il faut pourtant leur faire analyser des textes et leur enseigner des cas particuliers orthographiques.
Les dictées n'ont rien d'une surprise. Non seulement les collégiens sont prévenus à l'avance, mais le texte de la dictée leur est distribué une semaine à l'avance pour qu'il l'étudie par coeur chez eux. Le texte est accompagné d'exercices sur quelques points grammaticaux, mais pour bien faire on traite directement des extraits de la dictée. On aurait pu imaginer un exemple parallèle. Non, non! Ils étudient par coeur le texte de la dictée, répondent à des questions de grammaire sur des extraits du texte de la dictée, et se présentent le jour de la dictée en rendant un exercice fait à la maison qui comptera pour moitié dans la note de la dictée, sans que nous n'ayons à nous scandaliser qu'il ait pu être revu ou carrément fait par un parent ou un camarade. Il s'agit juste d'encourager les parents à ne pas aider leurs enfants, à ne pas faire le devoir à sa place. C'est tout. Il va de soi que certains élèves, bien qu'encadrés par les parents, ont effectué une préparation sérieuse. Pourtant, ni le 10/10 à la dictée, ni le 10/10 à l'exercice préparatoire ne vont de soi, et encore moins le 20/20 ne jaillit de la réunion des deux travaux.
Et, la dictée ne tient que sur quelques lignes bien aérées. La dictée est trois, quatre, voire cinq fois plus courte que ce que je connaissais à leur âge.
Et même si un élève est sérieux et bosse, ne soyez pas surpris si le parent vient reprocher au professeur de faire étudier à son enfant des accords en genre et en nombre de mots plus rares d'emploi. On vous assure que l'enfant est encadré, que c'est assez dur ainsi, et qu'il ne faut donc pas l'encombrer de connaissances inutiles.
Jamais un cancre ne se serait permis de penser ainsi il y a trente ans, si ce n'est dans le moment où il refuse de se mettre au travail.
Et ces collégiens, quand on leur demande de lire, et je parle tout aussi bien des premiers de la classe, des enfants sages, ils n'ont aucune aisance pour lire, ils formulent parfois des phrases incorrectes qui résultent de leur laborieux travail de déchiffrage et vous les assènent en espérant que ça passe, phrases pourtant qu'ils ne formuleront jamais à l'oral. Pour l'écrit, c'est encore pis, les phrases incohérentes abondent bien que nous sachions pertinemment que jamais les élèves ne les emploieront dans une discussion courante, et un professeur n'aurait qu'à en faire la collecte pour vous les mettre sous les yeux.
Mais, voilà que j'en arrive à un point extraordinaire. Les enfants lisent une phrase et donnent un mot pour un autre sans s'en apercevoir après coup. Parfois, ils lisent un mot pour un autre, mais le fait étonnant c'est que la première et la dernière syllabes sont justes. En revanche, les syllabes au milieu du mot, tout se passe comme si elles n'avaient pas été vues, puisqu'elles sont de facto remplacées par celles d'un autre mot. Exemples, au lieu de lire "constipation", l'adolescent va lire "conspiration" ou même "conjuration", plus fort encore il va lire "pavaner" au lieu de "parader".
Enfin, une élève, toute blonde, toute riante, toute gentille, mais bien insouciante, avec un bon poil dans la main, va être présentée comme dyslexique, même si elle ne fait pas plus de fautes d'orthographe que les autres. La dyslexie, un problème qui n'existait pas il y a trente ans. En réalité, un fourre-tout de problèmes divers et un prétexte à créer des dossiers, en majorité des passe-droits pour les enfants des parents qui prennent ce qu'il y a comme services. Moi, chaque année durant mes six années primaires, j'étais dans une classe de vingt élèves qui savaient tous lire et écrire, et nous n'avions nullement été triés sur le volet.
Je me demande comment cela se joue dans le cerveau des jeunes d'aujourd'hui pour en arriver à ce qu'il lise sans s'en rendre compte un mot pour un autre. Un enfant de sixième est incapable aujourd'hui d'appliquer la simple règle générale qui veut qu'on mette au pluriel un "s" dans la plupart des cas, et que nous ajoutions très souvent un "e" au féminin, cas des verbes mis à part (mais empiriquement, ils ne savent pas ce qu'est un verbe). C'est plutôt binaire. Mettre un "s" au pluriel, mettre un "e" au féminin, par contraste avec le singulier et le masculin. Aujourd'hui, si vous avez un élève qui y arrive dans une classe de sixième, estimez-vous heureux. On sera ensuite très indulgent pour les problèmes de redoublements de consonne et on ne fera pas d'épreuve notée sur les cas plus particuliers. Ils écrivent "c'est" pour "ces chaussettes", c'est que "c'est" est dans leurs représentations l'idéogramme de ce qu'ils entendent, il ne faut pas chercher plus loin.
J'ai du mal à croire que le passage de la méthode syllabique à l'une ou l'autre méthode : globale ou semi globale, ne soit pas une cause majeure des problèmes actuels.
A l'oral, nous formulons successivement les syllabes, et, en tout cas, en français, nous lisons de gauche à droite. Depuis les grecs, on apprend à lire de manière alphabétique et syllabique, et ça a toujours marché, et les progrès sont d'une rapidité fulgurante.
Avec les méthodes globales et semi globales, c'est un fait : les enfants ne savent plus lire ni écrire, et le premier de la classe est moins bon en orthographe que le dernier de la classe il y a trente ans.
La méthode globale prétend faire étudier des mots par coeur comme indivisibles au mépris d'un cerveau à l'aise avec la syllabation. On prétend que la méthode globale permet un gain en vitesse. A supposer que l'argument soit fondé, il faudrait déjà déterminer, face à un discours un peu confus, si le gain de vitesse signifie un apprentissage plus rapide de la lecture ou s'il est seulement question d'une lecture plus rapide d'un texte, mais là la première possibilité est réfutée par tout ce que je viens d'indiquer. Mais, il y a pire. Effectivement, quand nous lisons, nous anticipons, notre oeil voyage sur la page, mais il faut faire la différence entre quelqu'un qui sait déjà lire et qui travaille alors spontanément l'anticipation, et quelqu'un qui apprend tout simplement à lire, qui fait ses tout débuts dans la lecture. Quant à la méthode semi globale, elle pourrait être pire par le mélange de deux méthodes. En tout cas, il est déjà évident qu'elle ne vaut pas la simple méthode syllabique qui permet à un enfant d'apprendre à lire et écrire correctement entre cinq ans et sept ans.
Actuellement, l'écrasante majorité des collégiens ne savent ni lire ni écrire correctement, et je ne vois pas comment cela pourrait être corrigé. En quatrième-troisième, pour des raisons de puberté, et aussi pour des raisons sociétales actuelles, les filles et les garçons sont rebelles (mais des rebelles gâtés qui ne font pas des Rimbaud) et ne sont plus réellement sensibles à ce qu'on leur enseigne et impose d'apprendre. Les enfants sont également habitués à leurs fautes, qu'ils reproduiront mécaniquement en toutes circonstances. Ils ont également de mauvaises habitudes : manque de rigueur, absence d'apprentissage par coeur, absence de concentration de longue durée. Pour moi, il n'y a déjà plus qu'à espérer un miracle : un désir magique de l'enfant de rattraper le temps perdu. Je ne vois pas comment on peut rattraper cela sans démarche personnalisée, et sans docilité et même volonté de l'enfant. Apprendre à lire et écrire de cinq à quatorze ans, c'est une anomalie.

Par ailleurs, quand j'étais en primaire, je soulignais régulièrement le sujet, le verbe, les compléments d'une phrase. L'analyse grammaticale était traditionnelle. Nous n'étions pas dans les constituants immédiats et la grammaire générative. J'identifiais le sujet d'un verbe, je le faisais de manière logique, j'identifiais l'auteur de l'action, si le verbe était un verbe d'action. Prenons une phrase : "Le grand garçon avec son pull rouge tape dans le ballon". Le sujet, c'était le "garçon", on ne nous reprenait pas pour dire que c'était le groupe nominal "Le grand garçon avec son pull rouge". On se cantonnait dans une analyse logique, et on ne se déployait pas dans une analyse linguistique. "Grand" c'est une précision, "avec son pull rouge", c'est une autre précision. On n'a pas besoin de savoir que le garçon est grand et porte un pull rouge pour déterminer qui tape dans le ballon et pour effectuer un accord en nombre. On avait des méthodes pour ne pas se tromper, et ça marchait très bien ainsi. Surtout, on pratiquait, on apprenait pas mal par coeur et on avait une confrontation pratique aux difficultés, pas théorique. On apprenait par coeur un certain nombre de propositions circonstancielles selon une méthode qui n'était pas rigoureuse syntaxiquement, mais selon une méthode logique riche qui permettait d'envisager des nuances, et on faisait la quantité d'exercices nécessaires pour s'approprier tout cela. Et on ne nous demandait pas de réflexion théorique. On apprenait.
Sans doute, ce qui a énormément manqué à mon époque, ce sont les exercices d'imitation du style d'un auteur. Les exercices d'écriture nous manquaient cruellement. Aujourd'hui, les élèves ont des exercices d'écriture au collège, mais bon ce n'est pas plus juteux qu'un QCM. Ils ne sont pas propulsés bien loin, ils sont tenus en lisière le temps d'écrire deux lignes.
Bref, avec tout cela, ce n'est pas demain la veille que la France s'enorgueillira d'un nouvel Arthur Rimbaud.
Les deux premiers vers du Bateau ivre : "Comme je descendais des Fleuves impassibles, je ne me sentis plus guidé par les haleurs", ce sera toujours : "J'étais en train de descendre le long des fleuves, quand soudain je ne sentis plus que les haleurs me guidaient" ou "je ne sentais plus que j'étais guidé par les haleurs". C'est le charabia qui sera bien noté et bien vu aujourd'hui. Ce serait même plutôt le niveau élevé de mon époque. Si un enfant d'aujourd'hui atteint ce niveau, c'est un miracle.

Il est défendu aujourd'hui d'apprendre aux collégiens la différence entre une relative déterminative et une relative appositive. "Les enfants qui ont bien travaillé peuvent quitter l'étude", "Les enfants, qui ont bien travaillé, peuvent quitter l'étude". J'ai appris ça en quatrième primaire, CM1, si pas en troisième primaire, mais j'ai au moins le souvenir d'avoir déjà maîtrisé cela en quatrième primaire. Aujourd'hui, ce serait difficile d'accès aux élèves. La différence de sens est parfaitement sensible. Dans un cas, la relative est déterminative, les enfants qui ont bien travaillé sont détachés d'un ensemble plus large d'enfants. Dans l'autre, la relative apporte une précision : "Les enfants peuvent quitter l'étude, car ils ont bien travaillé."
Hypocritement, on dira aujourd'hui que dans certains cas, malgré l'absence de virgules, la relative peut être aussi bien déterminative qu'appositive.
Comme si moi j'avais souffert de cette distinction. En primaire même, on m'avait expliqué que ce n'était pas automatique. Mais je voyais que dans la plupart des cas cette différence à l'aide des virgules opérait.
En revanche, le schéma actanciel et le schéma narratif seraient eux accessibles à des enfants de sixième, alors que le professeur qui prépare son cours doit absolument travailler à choisir un texte qui pourra cadrer avec les schémas, car ils n'ont rien d'universel. Le professeur pourra hésiter entre deux découpages et pencher finalement pour un qu'il trouvera plus pertinent et qu'il proposera à ses élèves. Il n'expliquera surtout pas aux élèves ses atermoiements, ses remords, pour ne surtout pas jeter la confusion.
Enfin, logique en sens inverse cette fois, les enfants sont aujourd'hui confrontés beaucoup plus tôt à tout le jargon de l'analyse littéraire. Je n'ai étudié les figures de style qu'au Lycée (périphrase, péjoratif, métonymie, etc.) Aujourd'hui, cela s'enseigne dès le collège, avec en prime le terme "mélioratif" qui a été inventé pour l'occasion, qui est moche et qui n'a rien de naturel, ça sonne mal aux oreilles mais ce n'est pas grave.
On ne demande plus aux enfants où et quand l'action se passe, ni dans quel lieu et à quel moment l'action se passe. On leur demande de repérer des connecteurs temporels, des connecteurs spatiaux, jugez de l'amour de la langue, et on leur enseigne le terme "spatio-temporel". Certes, le mot tel qu'il est employé est facile à comprendre, il m'a contaminé tout un temps (voyez mon article dans le Parade sauvage n°20), mais l'adjectif a déjà un sens physique précis. Il est assez maladroit d'aller le concurrencer avec un jargon d'analyse littéraire qui ne fait pas honneur à la langue de Racine.
Et perle des perles, on enseigne aux élèves la notion de "champ lexical".
Personnellement, j'ai à peine pris connaissance de cette notion au lycée et quand on me l'a présentée à l'Université je l'ai toujours froidement évitée, parce que je n'ai jamais compris le rapport de cette notion avec le commentaire de texte. Je ne vois pas ce qu'on a dit de pertinent sur un texte quand on a relevé cinq mots de vocabulaire qui évoquent la peur ou la pitié.
Je comprends bien qu'il y a une rigueur à apporter pour bien définir un champ lexical, je comprends qu'on va identifier un thème important, etc. Mais, pour moi, j'ai identifié un champ lexical, je n'en fais rien pour autant, c'est de la glu dont je me débarrasse vite fait.

Bon, maintenant passons à l'exercice du jour.
Séparez le texte suivant en deux parties.

     Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.      Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux.  Et je l'ai trouvée amère.  Et je l'ai injuriée.     Je me suis armé contre la justice.     Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié!     Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.     J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.     Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.     Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.     La charité est cette clef.  Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !     "Tu resteras hyène, etc...," se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."     Ah ! j'en ai trop pris :   Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.
Alors, à votre avis, vous allez séparer entre "rire de l'idiot" et "Or" ou bien entre "appétit" et "La charité".


Encore une minute.

Bon, je vois que plusieurs font le découpage suivant :

     "Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. 
     [...]
     Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.

***

     La charité est cette clef.  Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !
     "Tu resteras hyène, etc...," se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."
     Ah ! j'en ai trop pris :   Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

Qu'est-ce qui ne va pas ? Trouvez-vous cela normal que d'un côté on ait le désir de renouer avec le festin ancien et puis au tout début de la partie suivante la réponse? Cela ne devrait-il pas plutôt aller ensemble ? Ne pensez-vous pas que le découpage suivant soit plus logique ?

"Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. 
     Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux.  Et je l'ai trouvée amère.  Et je l'ai injuriée.
     Je me suis armé contre la justice.
     Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié!
     Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.
     J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.
     Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.

***

     Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.
     La charité est cette clef.  Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !
     "Tu resteras hyène, etc...," se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."
     Ah ! j'en ai trop pris :   Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

Quels titres donneriez-vous à chacune de ces parties ?

Qu'est-ce que ça veut dire  : "la charité est cette clef"? De quoi la charité est-elle la clef ?
Oui c'est la clef du festin ancien, et oui, oui, c'est ça, c'est bien, c'est le "festin où s'ouvraient tous les coeurs". Qui peut me définir la charité, justement ?
Oui, voilà, c'est bien.

Et "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé", qu'est-ce que ça veut dire ? Regardez, c'est sur la même ligne que "La charité est cette clef". Oui, ça veut dire que l'inspiration de la charité est rejetée bien sûr.
Et qui a bien pu proposer la charité comme solution au poète ? Cette inspiration, elle vient de qui ? Oui, de Dieu.

Je passe maintenant au paragraphe suivant, on a un discours rapporté. Est-ce que c'est Dieu qui parle ? Non, c'est le démon. A votre avis, est-ce que l'inspiration et le discours rapporté, c'est la même personne qui intervient. Non. Dieu ne se confond pas avec un démon. Il y a donc deux intervenants.
- Oui, mais monsieur, il y a le champ lexical du sommeil ou du rêve "songé", "rêvé", "pavots" parce que c'est une plante qui apporte le sommeil.
- Mmh! Est-ce que c'est vraiment un champ lexical ? Oui, il y a une équivoque sur "songé" et "rêvé", mais quand vous dites "j'ai songé à faire quelque chose", c'est quoi le sens de "songer" ?
Bon après, tu rapproches "rêvé" et "pavots", pourquoi pas ? Mais alors il faut reprendre ce qui est dit dans le texte.
"Cette inspiration prouve que j'ai rêvé", nous avons vu que c'est le poète qui refuse la charité que lui propose Dieu. Tout le festin est rejeté comme une espèce de rêve. Il a envisagé d'y revenir, il rejette cela comme une illusion.
Et on ne peut pas confondre Dieu avec le démon. Alors, qu'est-ce que ça voudrait dire ces "pavots" sur la tête du démon?
- Ben que c'est le démon qui a fait rêver le poète du festin et de la charité?
- Tu penses ? Tu crois que nous faisons fausse route jusqu'à présent ?
Prenons le problème autrement.
Que dit le démon ?
Il dit que le poète va rester une hyène. Est-ce que nous avons vu que le poète ressemblait à une hyène ?
Oui, il a fait le bond d'une bête féroce, bien.
Pourquoi est-il une bête féroce ? Parce qu'il a rejeté le festin, la justice, et qu'il est devenu méchant, d'accord oui, bien.
Donc, le démon lui dit que ce n'est pas la peine de croire qu'il va retrouver son état initial.
Il va rester une hyène, donc il ne retournera pas au festin.
Que dit d'autre le démon ? "Gagne la mort..." Est-ce qu'on a d'autres passages avant dans le texte qui parlent de la mort ? Oui "pour en périssant la crosse de leurs fusils", et encore oui "le dernier couac"
Qu'a voulu faire le poète? Eviter la mort.
Qu'est-ce qu'il aurait pu faire pour éviter la mort ? Se tourner vers la charité.
Et le démon, est-ce qu'il veut que le poète évite la mort et se tourne vers la charité? Non, au contraire.
Alors, est-ce que la charité peut être une tromperie du démon pour pousser le poète à la mort?
Non, puisque la charité est un moyen d'éviter la mort.

Alors, est-ce que tu es d'accord pour dire que l'inspiration vient de Dieu et qu'elle est rejetée comme un rêve ? Oui.
Mais alors, les pavots du démon, s'ils ne sont pas le rêve rejeté de la charité et du festin, que sont-ils? Essayez d'y réfléchir pour demain.
**
(Cette méthode d'échanges est la base de l'analyse en classe à l'heure actuelle. On remarquera qu'une certaine vigilance devrait être demandée aux professeurs, car, dans ces moments-là, en général, avec la familiarité orale de l'échange, on oublie le redoublement du sujet à la troisième personne "le personnage se demande-t-il...?", voire l'inversion sujet-verbe "Penses-tu ?", "Ne penses-tu pas...?". La double marque de la négation se perd : "Tu ne penses pas" et non "tu penses pas")
Je viens d'improviser et j'avoue que je n'ai pas laissé de liberté à la réflexion de l'élève, je l'ai entièrement conduit là où je voulais aller. Ah! quel mauvais professeur. En tout cas, je comprends très bien Rimbaud.

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