samedi 8 mars 2014

"Cette inspiration prouve que j'ai rêvé"

Dans son livre L'Art de Rimbaud, précisément sur le passage qui nous intéresse au sein de la prose liminaire d'Une saison en enfer, Michel Murat écrit page 408 : "Il est impossible de trancher." C'est aussi pénible que de lire sur le site d'Alain Bardel un tel pense que, un tel pense, moi je pense que, et tous vos arguments n'y changeront rien, aussi pénible que de lire des rimbaldiens divers nous faire l'éloge du retour à la seule lecture spontanée comme la plus plaisante en coinçant dans une parenthèse la valeur de toute recherche.
Mais comment peut-on et comment doit-on supporter cela ?
Passons donc à notre texte.
Ou plus précisément revenons au commentaire de Michel Murat.
Il a lu mon article, mais je ne suis pas quelqu'un d'important et j'ai été cité page 406 pour une broutille, déformée qui plus est, qui donne une piètre idée d'un des articles que j'ai pu écrire sur Une saison en enfer. Cela n'empêche pas de reprendre au bond, mais à un autre endroit, mon apport décisif concernant le brouillon de la fin d'Alchimie du verbe qui est que les quatre dernières phrases ne doivent pas se lire à la suite, mais sont quatre essais avortés d'une même idée de phrase finale.
Tout ce débat autour des interprétations contradictoires entre Pierre Brunel et Jean Molino, j'en ai fait ma spécialité. Alain Bardel ne me cite pas sur son site, normal il en a discuté avec moi sur un forum internet. Murat ne me cite pas non plus, alors qu'il a lu et cité un des deux articles où je traite ce sujet. Il semble que de toute façon le débat naît tout entier de l'article de Molino et puis, sans doute que je n'ai pas convaincu, donc libre aux grands rimbaldiens de refaire ce que je fais en mieux, avec une meilleure compréhension du texte.
En fait, dans son livre L'Art de Rimbaud, Michel Murat ne fait de toute façon rien d'autre que reprendre ma lecture pour l'essentiel. Il constate que l'inspiration vient d'une instance extérieure et que Rimbaud la rejette. Il considère comme moi que Satan se récrie à cause du danger de la conversion. En revanche, toutes mes considérations sur le conflit entre charité et mort passe à la trappe, ce que je crois assez dommage. Il s'aligne donc sur ma lecture, lecture qu'on ne rencontre nulle part ailleurs auparavant.
Mais, ce qui ne s'explique pas, c'est que la page 408 soit aussi confuse et hésitante. Car il y a une difficulté non surmontée. Moi, ma lecture du prologue est spontanée, mais pour Michel Murat il fait la même lecture que moi, mais lui oppose une contradiction. En clair, il n'arrive pas à dépasser la tension révélée par le conflit de lecture Brunel-Molino. Comment se fait-il que pour moi il n'y a aucun problème, et que là il y en a un ?
A la page 408, Michel Murat oppose deux lectures : d'une part celle qui va de soi : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé!" est une façon de congédier l'idée précédente "Quelle idée stupide!" nous est proposé comme discours équivalent.
Mais, après, l'auteur parle de "lettre du texte" qui "résiste à cette interprétation". Les "pavots" créent une atmosphère de "mauvais songe" et ils sont donc à la lettre les responsables du rêve sur la charité de Rimbaud.
Pour moi, la lettre du texte, c'est que l'inspiration prône la charité et que le démon prône la mort, et que les deux discours, celui de l'inspiration et celui du démon, s'opposent.
Je n'observe qu'un parallèle. L'inspiration est rejetée comme un rêve et le démon est un endormeur, un charlatan.
La page 408 du livre L'Art de Rimbaud est insolublement confuse, car elle est pleine de raisonnements tronqués. Mais, donc, j'ai pu déterminer que Michel Murat s'accorde ailleurs à opposer l'inspiration vers la charité et le démon qui veut sa proie. Il y a ici donc un raisonnement confus qui laisse penser que le démon a quand même exhibé la "charité" dans un univers de mauvais songe pour voir sa proie réagir.
Tout de même, le démon se récrie, ce qui ne va pas avec l'idée d'un démon exhibant son contraire, l'odeur de sainteté, comme une tentation. La thèse de Murat est bien alambiquée.
Mais je peux ici faire remonter une contradiction. La phrase "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé!" ne taxe pas l'inspiration elle-même de rêve. L'inspiration ne prouve pas qu'elle est un rêve. Il n'y a pas ici de logique autodestructrice du propos. En réalisant que la charité est la clef, le poète découvre qu'il a rêvé, qu'il s'est bercé d'illusions quant à un éventuel retour au festin ancien, voire quant à la réalité passée de ce festin, puisqu'il l'a tout de suite mis entre parenthèses avec ce fameux "si je me souviens bien" qui pose le statut problématique du souvenir construit.
Je ne saurais trop inviter le lecteur à se reporter à mes articles récents où j'ai développé mon idée particulier sur le "souvenir" inculqué.
Et j'observe un autre point étrange dans l'analyse de Michel Murat. Alors que pour moi tout est dit dans "La charité est cette clef!", l'auteur de L'Art de Rimbaud s'interroge sans raison sur ce que peut être cette clef et sur sa façon d'ouvrir l'accès au festin ancien, voire sur sa façon d'ouvrir tous les coeurs.
Avec l'équivoque "clef" et "ouvrir", je ne vois pas ce qu'il y a à élucider. La charité fait s'ouvrir tous les coeurs. Mais, Rimbaud va démonétiser la vertu théologale, et on va pouvoir apprécier une critique de la charité pratiquée en société au fil de la lecture d'Une saison en enfer.

Il serait quand même grand temps qu'on cesse avec les faux problèmes. Puis, c'est désespérant, tout ce que je touche, les gens contestent et mettent quarante plombes avant de piger. J'en ai marre, mais marre...

2 commentaires:

  1. Page 425 de L'Art de Rimbaud, Michel Murat dit de la fin du brouillon que Rimbaud a "essayé plusieurs formulations d'une même idée" avant de conclure "Salut à la bont". Ce qui est la reprise de mon article, ce que confirme ensuite sa remarque sur l'illisibilité du dernier mot inachevé puisque "fusion des lettres ea", c'est aussi dans mon article. Un peu avant, Murat a donné la liste d'articles récents sur les brouillons, que des pontes. On peuyt s'y reporter pour constater que mes idées ne sont pas dans ces articles-là de Nakaji, Bandelier ou Cervoni. Ce que Murat dit de juste sur la prose liminaire vient aussi de mon article. En ne me citant pas sur "Je sais aujourd'hui saluer la beauté", une contradiction échappe au débat puisque je ne suis pas d'accord avec la lecture qu'il avait proposée déjà par le passé du verbe "saluer", rendre hommage. Je lis, moi, "saluer", congédier. J'argumente cela dans mon article.

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  2. En plus, les pavots sont non seulement liés à la drogue et au sommeil (Morphée), mais à la mort avec les "pavots de la mort".
    Or, Rimbaud n'a pas écrit "Cette inspiration (la clef charité) m'éloignait d'un mauvais songe." Il a écrit "Cette inspiration (la clef charité pour accéder au festin ancien) prouve que j'ai rêvé". La charité clef est elle-même la preuve qu'il y a rêve, or elle sert à la vie et précisément à éviter la mort.
    La lecture est simple: il y a rêve contre rêve, charité contre pavots de la mort. Le verbe "couronna" fait entendre "gagne la mort".
    Le festin est clairement suspect "si je me souviens bien".
    Ensuite, la série d'actions du poète n'en restent pas moins des actions et des décisions. Molino veut nous dire que le poète a rêvé s'armer contre la justice, rêvé l'affreux rire de l'idiot, rêvé sa lutte et sa rébellion. Qu'est-ce que le rêve changerait à cela, d'autant qu'après l'intervention de Satan le poète s'adresse à Satan, donc il fait peu de cas d'une preuve de rêve. Une preuve! La lecture Molino-Murat est insoutenable.

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