dimanche 24 novembre 2013

Récapitulons ! (proscriptions à la césure)

La mesure du vers en français est purement syllabique et ne suppose que le seul contraste du "e" instable opposé à la stabilité de toutes les autres voyelles C'est ce qui explique que certains "e" sont surnuméraires et non comptés dans la longueur du vers
Le rythme des vers est très libre, mais il existe un petit nombre de proscriptions fondamentales pour que les césures soient aisément reconnaissables, il existe aussi des tours tolérés mais déconseillés

Au sommet de cette hiérarchie, règne la proscription de la césure au milieu d'un mot, c'est le critère M, et si une césure passe au milieu d'un mot malgré tout on peut encore affiner en distinguant les cas où la césure passe au milieu de morphèmes, soulignant l'étymologie du mot, par exemple "pén-insules" relevé par Cornulier dans Le Bateau ivre
Deux proscriptions l'accompagnent de près, car parfois des groupes de mots peuvent former un bloc soudé, c'est le cas du lien d'un déterminant avec le nom auquel il se rattache, et c'est le cas des pronoms placés avant le verbe et dans sa dépendance, il s'agit de la catégorie des proclitiques à laquelle adjoindre encore l'adverbe de négation "ne" Attention, la proscription ne vaut que si le proclitique ne contient qu'une voyelle stable, par exemple "lequel homme", "lequel" peut figurer à la césure

La voiture, un train, ce chien, son voisin, une maison, cette personne

"La, un, ce, son" : ce sont des déterminants du nom monosyllabiques exclus à la césure
"Une, cette" : ce sont des déterminants du nom dissyllabiques avec une seule voyelle stable, mais comme ils se terminent par une voyelle féminine, il se trouve qu'à moins de précéder une voyelle et encore, on ne les trouve pas dans la poésie parnassienne, je trouve d'ailleurs assez importante cette remarque sur leur rareté, absence même, quand pourtant l'hémistiche suivant commence par une voyelle
Sinon, ils sont de toute façon évités à cause de proscriptions sur le "e" féminin dont il sera question plus bas

Dans la phrase : "que je ne vous y reprenne plus", l'adverbe "ne" et les pronoms préverbaux très usuels "je", "vous", "y" sont quatre proclitiques, ils sont inséparables du verbe

Les proscriptions sur les proclitiques déterminants du nom ou pronoms préverbaux (+ adverbe "ne" pour le détail) relèvent du critère C

Dans le même ordre d'idées, les césures sur prépositions d'une seule syllabe sont interdites, et notez encore une fois l'importance du monosyllabe, car Racine peut très bien placer à la césure une préposition de deux syllabes du genre "après" Il s'agit du critère P applicable à quantité de prépositions "sur" "dans" "sous" "par" "pour" "à", etc etc

Il existe en français neuf catégories de mots : les grandes catégories du nom, du verbe, de l'adverbe, du pronom, de l'adjectif et les catégories plus proches des mots-outils catégories de la conjonction, de la préposition, du déterminant et des interjections
 Peu importe les nuances sur le sujet, notamment les prépositions On voit que ces proscriptions portent plutôt sur des mots-outils monosyllabiques : les prépositions et les déterminants, ou bien sur des pronoms
En réalité, mais cela demanderait des nuances, quelques conjonctions monosyllabiques ("que", "et", "comme", etc), des interjections monosyllabiques et des adverbes monosyllabiques ("très", "trop", "ne") sont également concernés par les proscriptions à la césure
Mais on s'en tient à trois grandes catégories dans l'analyse métricométrique : M, C et P

Il faut ajouter à cela les proscriptions autour du "e" instable, ce qui ouvre à un peu plus de cas que celui du "e" féminin de fin de mots, mais peu importe ici pour le niveau de compréhension souhaité

Le "e" de fin de mot ne peut pas être à la césure, parce que ce n'est pas une voyelle ayant assez de relief Si cette césure a été pratiqué à cause de l'accompagnement musical à la fin du Moyen Âge, en impliquant la poésie de rien moins que Villon, elle est proscrite depuis le XVIème et a autant de poids que la proscription de la césure M au milieu d'un mot
Dans le cadre de la poésie médiévale, on parle de césure lyrique à cause de l'accompagnement musical qui la rend tolérable Pour l'analyse le "e" féminin relève du critère F

Le "e" est également proscrit en tant que récupéré pour former le second hémistiche d'un vers, ce qui doit être distingué du cas des enjambements de mots, puisque cette césure est autorisée en anglais ou italien, sans que ne soit autorisé pour autant les enjambements de mots au milieu cette fois des autres voyelles stables le composant
Il s'agit ici du critère "s"

FMCPs, c'est la réunion des cinq grands critères et nous pourrions y ajouter les cas complémentaires dans une catégorie !
De 1550 à 1850, on constate que les vers n'ont jamais de césure qui peuvent marqués de l'un de ces signes! C'est la preuve de la régularité de la versification classique à travers les siècles
Et cette stabilité était déjà importante avant 1550

Une proscription n'est pas notée, celle du "e" sunruméraire
Il y a deux cas, soit la proscription du "e" surnuméraire à la césure, comme si l'hémistiche était un petit vers autonome dans un plus grand vers, la fameuse césure épique
soit le "e" qui suit une voyelle et qui est non compté à l'intérieur d'un mot Dans ses Aspirations, Léon Dierx a placé le mot "futaies" au milieu d'un octosyllabe Par provocation, Rimbaud n'a pas compté le "e" de "Entourée de bois" dans Larme et celui de "vallées" dans Fêtes de la faim
Normalement, ces "e" étaient comptés dans la poésie du XVIème, mais la proscription qui a suivi n'était pas métrique, mais prosodique, puisqu'il s'agissait de ne plus pratiquer du tout de "e" languissants en s'interdisant certains emplois Rimbaud et accessoirement Dierx ne reviennent pas au système du XVIème siècle, puisque chez eux le "e" n'est pas compté pour la mesure  

Maintenant, il faut ajouter à ces proscriptions pures des zones de relative tolérance
Ces tolérances ne sont pas notées par la métricométrie
Mon étude sur l'héritage d'André Chénier et sur le premier renouveau métrique du XIXème dans la période 1820-1833 nous apprend qu'il s'agit

de la césure détachant un adjectif épithète d'un nom sans ménagement rythmique au plan des hémistiches
de celle détachant un verbe de son complément (COC, COI, attribut, complément de lieu) dans les mêmes conditions d'instabilité rythmique
de celle détachant un sujet du groupe du verbe dans les mêmes conditions d'instabilité rythmique
de celle détachant un complément du nom d'un nom toujours dans les mêmes conditions
de la ponctuation forte à une syllabe de la césure ou de la rime

Il me resterait à travailler sur le cas des incises, soit des propositions, soit des compléments
Et je passe aussi sur certains points originaux, certaines nuances inattendues

Enfin, nous observons l'existence du trimètre qui suppose une symétrie ternaire suffisamment appuyée que pour concurrencer la lecture binaire Il s'agit d'un procédé d'enjambement à la césure par un segment médian
Parfois, cet enjambement est régulier, c'est le cas inévitablement des rares trimètres classiques, parfois il suppose une discordance de l'un des types s'étant banalisés dans la période 1820-1833 Il va finir par impliquer les proscriptions fondamentales FMCPs

Le trimètre est important dans notre étude, car il est à l'origine de l'idée qu'une mesure de substitution peut apparaître au milieu des alexandrins, et cette thèse de la substitution pèsera également, mais selon un modèle réadapté, dans le cas des autres vers où la césure est difficile à identifier
Le trimètre est important encore dans notre étude, car objet de débat pour les romantiques et les parnassiens il est nécessaire d'envisager son influence avant de prétendre observer que quand un vers a une reconnaissance de la césure entravée à la sixième syllabe soit la quatrième syllabe soit la huitième syllabe, soit les deux ne sont pas entravées
La métricométrie peut servir par les critères FMCPs6 appliqués aux alexandrins à étudier la régularité, l'existence ou non d'une césure normale dans un poème, mais elle a aussi servi à plaider l'idée que, sans en avoir conscience, les poètes réglaient le vers en trimètres ou semi-ternaires 4-8 ou 8-4
Je considère cette thèse comme une illusion
Elle ne tient déjà pas pour moi au niveau des faits
Voici, en 1833, un enjambement de mots particulièrement précoce qui dément catégoriquement l'idée que les poètes aient progressivement déréglé le vers
"Adrien, que je re+dise encore une fois" Pétrus Borel
Et voici l'un des premiers enjambements de mots connus de Rimbaud:
"Je courus! et les Pén+insules démarrées!"
Et je trouverais par ailleurs impertinent au possible qu'on puisse observer des gradations constantes des audaces comme si les poètes s'étaient donné le mot et fixé un rôle, chacun se tenant bien à sa place pour laisser le dernier poète pratiquer l'insolence qu'ils n'avaient pas osé prendre eux-mêmes en charge

Je ne crois absolument pas aux études "statistiques" sur le semi-ternaire, aux observations sur une évolution progressive parfaite, et les régularités observées, qui ne sont que relative, ne relèvent dans les faits que de l'importance consciemment accordée au trimètre, et pas du tout le fait de réflexes inconscients délivrant une harmonie de substitution
Je crois également que la plupart des semi-ternaires présentés ne le sont que par des a priori de l'approche critique
Je crois que oui le semi-ternaire soit du genre binaire tronqué 4-8, soit du genre irrégulier 3-5-4 a existé, mais seulement à la toute fin du XIXème siècle quand Rimbaud n'écrivait plus depuis longtemps déjà
Le semi-ternaire (binaire tronqué ou ternaire irrégulier) n'est que le fruit de la longue démolition du trimètre lui-même et que, véritable anachronisme, on a rétroactivement identifié des semi-ternaires dans la poésie d'Hugo, Rimbaud, etc

Je n'y crois pas deux secondes aux semi-ternaires indépendants de la question du trimètre dans la poésie d'un Hugo ou Rimbaud
Maintenant, je vais m'intéresser à l'histoire romantique du trimètre justement

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